Poésie – Maram al-Masri – Les Âmes aux pieds nus

Parfum de femme, dans un jardin de femmes. La beauté est trésor, la beauté de l’âme et du corps. Elle loge dans la bonté du regard, source de tout, porte de la maison et du cœur.

Mais, allez savoir pourquoi il y a des gens qui arrachent les fleurs, saccagent les jardins, détruisent la beauté ou la laisse périr! Ils sèment l’horrible, la souffrance; et le jardin devient une désolation, une tristesse, un cimetière où des épitaphes, pour des femmes blessées, arrachées à leur vie, mais vivantes, sont gravées sur des monuments brisés, tristes et gris: des monuments tel un regard vide qui veut dire: je n’existe plus, oubliez-moi, laissez-moi gésir en paix. Le jardin fané devient un tombeau où la vie s’est arrêtée pour ces femmes emmurées.

Ainsi je décrirais la douleur que la poésie de Maram al-Masri dénonce. Cette femme poète parcourt le monde avec ses poèmes dans les mains et dans le cœur afin de semer, de livrer un message d’espoir et d’amour pour toutes ces victimes, délaissées, abandonnées. Il n’y a que des faits dans sa poésie, aucune fiction, que des fresques poétiques où les couleurs, les paysages, les jardins se présentent délavés par les sanglots que l’on devine à chaque page.

Maram al-Masri s’y prend d’une manière à la fois originale et saisissante. Le titre des poèmes porte, la plupart du temps, le nom de la personne dont il est question, par exemple «Anne», et juste dessous est inscrit cette sorte d’«épitaphe», qui donne des informations telles que: «Mère: Jeannette / Père: Pierre-Jean / Née à Lorient / Âge: 35 / Profession: sans», puis le poème suit, il décrit la misère, bien réelle, parfois à la manière d’un récit, parfois même dialogué, comme pour «Anne», elle, dont le mari est devenu orgueilleux, fier de lui, et pour qui elle est devenue personne, moins que rien! À un point tel que l’humiliation dépasse les bornes: «[…] il appuya sa main sur ma tête, / la colla contre le sol». Anne, dans sa solitude, dans sa blessure, lancera cette plainte dont le chant est admirablement bien écrit: «Je me suis affalée / avec toutes les mères que je suis / toutes les femmes que je suis / toutes les filles que j’ai été / fermant les yeux / le visage contre la fêlure / pour ramasser / avec mes cils / le sel de mes larmes / brisées.»

Aussi, il n’y a pas que la violence physique, cette femme poète couvre toutes les tristesses qu’elle croise sur son chemin: «Madame Dupont a deux enfants. / Ils ont perdu son téléphone.» Ou «Monica et les autres», pour quelque argent «ouvrent leurs boutiques / et ferment les yeux.» Ou encore Sara (9 ans) qui se demande pourquoi son père bat sa mère, c’est que celle-ci ne sait pas bien repasser les chemises: «Moi, quand je serais grande / je repasserai les chemises / très bien.» (!!!) Et que dire de: «C’est vrai, je suis venue dans son bureau / avec mes propres pieds. // […] // Il était fort […] // Moi, faible […] // Je suis silence, / rage, / pitié, / tristesse, / pour l’homme qui m’a violée.»

Tous les poèmes, et il y en a plus de soixante-dix, présentent des événements réels, elles sont toutes réelles, ces femmes, ces filles; et Maram al-Masri les a toutes rencontrées; C’est dire comment, au-delà de la poésie, elle pose des gestes d’une grande beauté, d’une très grande bonté. Le don de soi, le don de soulager et peut-être même le don de changer les cimetières en jardin.

«Je pleure pour toi / Femme pleine de lune / Pleine de rivières / Pleine d’arbres»

Maram al-Masri, Le Temps des Cerises, 2009.

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