Poésie – Joséphine Bacon – Bâtons à message Tshissinuashitakana

Je me suis réveillé ce matin avec un coup de bâton dans la tête, dans mes rêves. Au bout de ce bâton, il y avait un message percutant. Je crois l’avoir compris, maintenant, dans ma tête de pioche!

J’étais certain d’avoir écrit mes impressions sur le recueil de Joséphine Bacon «Bâtons à message», mais après avoir parcouru mes articles, je me rends compte que je mériterais un autre coup de bâton.

Ce rêve a sûrement été déclenché par le fait que j’ai vu, hier, l’annonce de la présence de Joséphine Bacon le 4 novembre prochain à la librairie Olivieri, sur Côte-des-Neiges. La voix des songes est impénétrable…

Bon, commençons, qu’est-ce que des bâtons à message? Simple! C’est un point de repère, un message visuel que l’on dispose au bord du chemin pour indiquer aux autres nomades l’état de la situation. Par exemple, on utilise deux morceaux de bois en épinette blanche, on en place un penché très près du sol qu’on appuiera contre l’autre placé verticalement, ainsi nous obtiendrons un message, qui signifie: famine.

Recommençons: qu’est-ce que des bâtons à message? Pas facile du tout! Parce que c’est ce recueil, précisément; et il est fait de tranches de papier d’épinette très minces, posé bien à plat sur ma table de travail. Plus penché que ça, c’est impossible. Il signifie: détresse.

Dès l’introduction, la poétesse nous lance «Mon peuple est rare, mon peuple est précieux comme un poème sans écriture.» Qu’est-ce qu’un poème sans écriture? N’est-ce pas une mémoire sans ses traces, comme celles que nous laissons dans la neige et qui disparaissent au printemps? Aucune trace! Sûrement parce que l’écriture était verbe et que les voix disparaissent avec le temps. Où sont donc les voix et leurs mémoires? Ne les retrouverions-nous pas chez les Innus, où sont-ils? «Je ne te vois plus / sur ta terre, / je ne t’entends plus / quand tu rêves // j’ai perdu tes traces.»

Et, la détresse appartient à ceux qui restent, ils sont dispersés, laissés sans voix: «Silence // Je suis adoptée. / Je suis maltraitée. / Je suis orpheline.» Une profonde tristesse, comme un cri étouffé par les émotions qui accablent. Vivre l’exil chez soi, une fuite impossible, un repliement sur soi-même: «Ma douleur, / devenue remord, / est le long châtiment / qui courbe mon dos.»

Le poème est amérindien, il est né de sa terre, il vit des éléments de la nature. Il prend des allures bibliques par moment, le testament d’origine, celui d’avant l’écriture. Et, on y chante la vie, l’exode (vers nulle part), la souffrance d’un peuple et sa mort lente. Pourtant, dans l’âme du peuple Innu il y a une mémoire qui sait encore la nature, qui sait encore les sons importants: «Ils marchent / sans courbure, / attentifs / aux sons de la neige / sous la raquette», une mémoire qui connaît ses propres origines: «[…] pense à ton âme / elle t’a donné la source / avant la naissance.» Mais, aujourd’hui, qu’en reste-t-il? «Dis-moi aujourd’hui / où je dois aller / afin de retrouver / le sentier / des anciens.»

Je pourrais continuer comme cela, à paraphraser le livre de bout en bout, prendre les vers dans le désordre, les lire à l’envers, je sens que je pourrais écrire mille pages autour des mots de Joséphine Bacon. Chacun de ses mots projette mille images, chacune de ces images dessine un bâton, et les bâtons vibrent d’un message émouvant qui bataille pour la survie: «Mon rêve ressemble / à une paix / qui se bat / pour sa tranquillité.» et «Dans mon sommeil, / mes rêves me rappellent / qui je suis».

Oui, je me suis réveillé ce matin avec un rêve dans les mains.

Le recueil contient les poèmes dans les deux langues: Français à gauche, Innu à droite. Aussi, un des poèmes s’appuie sur une dédicace: «Chloé mak Gilles umenu».

Joséphine Bacon, Bâtons à message – Tshissinuashitakana, Éditions Mémoire d’encrier, 2009.

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