Livre – Dany Laferrière – L’énigme du retour

Le dernier livre de Dany Laferrière, classé «roman»! «Roman point d’exclamation» parce qu’au premier coup d’œil, en faisant voler les pages, on a plutôt l’impression qu’il s’agit d’un long poème.

Mais ce n’est pas un poème, bien qu’en quelques occasions les images soient évocatrices et poétiques (un peu), surtout rythmées et souventefois construites individuellement à l’intérieur d’un chapitre qui, lui, nous plongera dans une autre réalité, soudainement, après une rupture ou une bifurcation inattendue. Cette brisure survient presque toujours dans la dernière phrase, les derniers mots même. Dès lors, la forme du texte évoque en nous la structure de l’haïku, peut-être, où en entrée nous avons les observations, puis à la toute fin une révélation; mais, ici, ce n’est pas le cas, à mon avis. L’auteur tient son lecteur en haleine, tout simplement, il crée des énigmes, ou des chocs, plus précisément.

Malgré cela la question persiste: est-ce un roman? – Je ne saurais répondre. Le livre n’est pas sans «histoire», par contre il n’y a pas d’infraction à l’ordre ni de quête «formelle», nous pourrions en imaginer une, mais elle resterait à débattre: que veut Windsor Laferrière? Qu’a-t-il obtenu? Que n’a-t-il pas obtenu? Encore une fois, je n’ai aucune réponse. Toutefois, je le concède, il y a plusieurs intrigues au fil des pages; pourtant, elles ne seront jamais résolues! Ni même ne retiendront-elles l’attention, ni ne seront-elles exploitées. Par exemple: qu’y a-t-il dans la valise de la Chase Manhattan Bank? Nous ne le saurons jamais. Pourtant elle nous hante de la première à la dernière page.

En fin de compte, n’est-ce pas une biographie? Hmm! Non plus, du moins pas vraiment. Il n’y a pas suffisamment de points de repères pour permettre de s’y retrouver dans la vie du personnage principal. Ce livre nous laisse suspendus dans nos pensées. Tout y est décrit, écrit, comme un filet de pensée issu d’une seule et même personne. D’ailleurs, la typographie pour les dialogues est inexistante, il faut que le lecteur demeure attentif s’il ne veut pas s’embourber dans les répliques entre les différents personnages. Curieux! (?)

Cependant, ce livre nous laisse quand même «enrichis» de l’avoir lu, il ne nous laisse pas vide. Il nous dépose chez soi avec l’impression d’avoir voyagé, d’avoir marché dans les souliers de Windsor Laferrière. Nous y vivons son histoire, qui, soit dit en passant, me rappelle celle de «L’étranger» d’Albert Camus, que je devrais relire avant d’aller plus loin dans les comparaisons, d’ailleurs les deux livres commencent exactement de la même façon, l’un par l’annonce du décès de la mère, celui-ci par l’annonce du décès du père. On y voit derrière chaque page, chaque phrase, un je ne sais quoi qui nous ramène à la confidence typique des écrits de type épistolaire, où le partage amical des sentiments intimes se manifeste à chaque instant, une suite de confidences entre amis ou parents. Sentiments dont le noyau dur est la solitude, l’exil et la misère; sentiments qui émanent de l’écriture comme d’un récit raconté directement du narrateur au lecteur.

D’emblée nous nous posons la question: le narrateur et l’auteur ne font-ils qu’un? Si nous répondons «oui» à cette question, nous replongeons dans le dilemme de l’autobiographie même si succincte, l’histoire d’un moment dans la vie de Windsor Laferrière qui vient d’apprendre la mort de son père du même nom; sinon, et je crois que c’est de cela qu’il s’agit, l’auteur nous charme en créant un personnage dont nous ne pouvons croire fictif. Un personnage plus vrai que nature, qui accepte que le lecteur entre en lui, pour en découvrir, sans frein aucun, sans pudeur aucune, toutes les dimensions.

Au bout du compte, d’un cas comme de l’autre, nous devenons témoins de la vie d’un Haïtien coincé entre la torture des hivers montréalais et la misère de son pays. La souffrance dans l’exil, dans l’absence d’appartenance; le fait d’être un étranger partout.

J’aime à penser que ce livre puisse être un complément à la lecture de «L’étreinte des vents» de Hélène Dorion. Un mariage romancier-poète, où une même voix solitaire chante les joies laissées par les liens et les blessures à jamais gravées dans l’âme par les ruptures.

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