Spectacle FIL – Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent – vendredi 17 septembre 2010

Le Festival International de la Littérature, fil conducteur de l’émotion vive des mots et de la langue, nous en a mis plein les yeux et les oreilles avec le spectacle « Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent » donné à la Cinquième Salle de la Place des Arts le vendredi soir 17 septembre. Une mise en scène à la fois audacieuse, captivante et équilibrée; à la fois osée et sobre; qui propulsait le tout autant drôle que le profondément désespéré !

Ce spectacle, dans son attitude locomotive, nous a entraînés à travers les grands paysages de l’âme poétique dans toute sa grandeur et dans toute son ouverture de cœur. La poésie musique classique, la poésie musique de discothèque; poésie orgie, poésie tendresse, poésie passion, poésie violente dans sa fureur d’amour et d’abandon. Les acteurs nous en ont mis plein la caisse, infatigables, provocateurs, possédés tout entier par les démons du délire et de la passion.

Ainsi je résumerais la palette des couleurs qui ont brossé le tableau de cette soirée. Sur la quarantaine de poèmes récités, chantés ou actés figuraient tantôt le recueillement autour de l’auteur (Réjean Thomas – Hypothèque), tantôt la grandeur de l’interprète (Pascale Montpetit – Le bateau ivre – Arthur Rimbaud), puis l’éclat du ralliement populaire (« Speak white » – Michèle Lalonde – Marie Tifo); et souvent, voire même toujours, le jeu des acteurs qui évoquait l’univers poétique du poète de qui on récitait son poème. Nous côtoyions ses fantômes au moment de la création de son œuvre, ou de la manifestation de sa vision, ou du surgissement de la source de son inspiration, ou tout cela en même temps. Pour chaque œuvre, l’interprétation recréait tout entier le « temps », dans sa dimension éphémère, l’instant de l’éclair poétique au moment où la plume attaquerait le papier et que le monde invisible irait s’imprégner dans les fibres du texte, telle une photographie cryptée qui ne se manifestera à nouveau qu’à la lumière de la lecture; pour revivre, pour nous rendre témoin des choses qu’épanche l’écrit du poète…

En tout temps s’édifiait cette présence démultipliée, celle des auteurs, celle des acteurs, celle du poème lui-même. Une présence qui s’enfantait dès la première minute pour ne pas se terminer à la dernière. Et même si nous n’étions pas toujours en accord avec l’auteur ou l’acteur, nous étions toujours excités et émus. Nous nous inventions un « je » multiple qui se tiraillait et se perdait dans des sentiments plurivoques, des dualités en chamaille, évoquées, par exemple, par ce couple de danseur dans leur poème à corps perdus, sans parole, sans les mots pour décrire la foudre de leur combat, du « silence » de leur respiration forte et de leurs gémissements. Une obstination ou se fondent, par alchimie, les rages et les pulsions irrépressibles des deux sexes, cette impossibilité à résister malgré la brûlure. Le paradoxe du papillon de nuit qui cherche la chaleur de la lumière et qui s’y perdra.

En dehors de tout ce « flou » métaphysique si bien ramener à la réalité par les rôles de chacun, on se doit de mentionner que non seulement nous étions en présence de merveilleux comédiens, mais nous étions souvent éblouis par le talent musical de nombre d’entre eux : piano, guitare, chant. Ajoutons à cela la danse.

Malgré une scène assez dépouillée d’accessoires : une grande table, des chaises, des feuilles de papier qu’on lance en l’air et qui font des rafales, une poudrerie rafraichissante et spectaculaire, et un piano en retrait, sans autre décors, les acteurs arrivent à meubler tout l’espace avec une aisance naturelle. Les spectateurs s’incluaient dans ce décors. Nous avions l’impression de faire partie de la ribambelle, assis dans nos fauteuils, parmi eux, autour de la table. Et les poètes firent bonne chère, incarnés qu’ils étaient par leurs interprètes et le public ravi : des sandwichs et un « punch » généreusement arrosé de « liqueur » a été offert à tous immédiatement après le spectacle, pendant le bruit des derniers applaudissements, à la bonne franquette.

Une de ces soirées pour laquelle j’ai eu le cœur qui penche. En spectateur. Sans tomber dans les victuailles et les liqueurs, toutefois. Sans tomber dans la réalité somnolente des échanges de type cocktail qui indiquent trop souvent que c’est la fin du rêve, que la réalité revient vite nous « effacer ».

Il me semble que les troupes de théâtre devraient monter sur scène plus souvent avec ce bagage poétique. Je crois que les poètes sont très bien servis par le talent de ces gens de métier, ces créateurs de personnages plus vrais que nature. Et, contrairement à la croyance populaire qui s’anime dans les esprits contestataires de beaucoup de poètes qui prétendent que leurs poèmes devraient être lus sans « interprétation », désolé, je me demande qui a inventé cette supercherie, la poésie, musique en mots, tout comme la musique elle-même, est créée pour être interprétée parfois à voix basse, parfois à voix haute. Trop souvent, voire même presque tout le temps, le poète n’est pas le meilleur interprète de sa musique à voix haute. Suffit de dire, pour briser tout argument, que dans le monde de la musique, même les compositeurs ne peuvent jouer tous les instruments dont ils se servent pour leur composition, et ils ne sont pas toujours les meilleurs interprètes de leur propre œuvre. Pensez à Beethoven, par exemple.

Livre – Bruno Roy & Diane Dufresne – Les cent plus belles chansons du Québec – Anthologie

Je me suis enfin procuré ce beau livre : « Les cent plus belles chansons du Québec », anthologie préparée en 2009 par le regretté Bruno Roy (qui sera fêté au Lion D’Or le 25 septembre prochain, soit dit en passant…), et que Diane Dufresne agrémente de nombreuses illustrations de sa création.

Bruno Roy nous prépare d’emblée dans son introduction à la contrainte des cent titres; qui, malheureusement, mettra des chefs-d’œuvre de côté; soit parce que des autorisations ne sont pas venues de la part de propriétaires des droits d’auteur, soit parce qu’il fallait s’étendre sur une période de temps relativement grande. Assez grande en effet, car on y couvre quelques siècles ! Partant, l’album contiendra beaucoup moins qu’une chanson par année. On a tout de même l’impression, à première vue, que les grands jalons de la chanson québécoise, pour les gens de ma génération, y sont représentés.

Et le bal commence avec « À la claire fontaine ». Je dois avouer que j’ai été agréablement surpris de voir qu’on ait pensé à cette belle chanson, qu’elle soit la première. Car s’il y en a bien une qui puisse remémorer nos origines, et qui continue à nous habiter intensément, c’est bien celle-là. On en trouve quelques autres d’époque et qui font plaisir à les y voir revivre, telle que « Un Canadien errant ».

Il y en a trop peu, peut-être, mais il est vrai qu’il existe les livres de « La bonne chanson », j’ai aussi, pour me consoler « Chansons folkloriques françaises au Canada » par Marguerite et Raoul d’Harcourt, tiens ! j’ai le goût de le relire. Ou, plus vivant encore, l’album « Chansons folkloriques du Canada » que Radio-Canada avait lancé pour le centenaire de la confédération en 1967, où on peut entendre Louise Forestier, Raoul Roy, Jacques Labrecque et plusieurs autres chanter, dans les deux langues, pas loin de 130 chansons. Toute cette documentation déjà disponible explique sans doute la raison pour laquelle sont absents de cette anthologie certains de nos fleurons glorieux…

Toujours est-il que l’idée du livre, à ce que j’ai compris, est de nous faire découvrir ou redécouvrir les superbes paroles de nos chansons, démaquillées de leurs belles musiques. Écouter les mots pour eux-mêmes dans leur splendeur toute nue. J’avoue que certaines pages m’ont pris plusieurs minutes à « lire ». Premièrement, parce que la chanson en tant que telle « chantait » avec sa chanteuse ou son chanteur dans mes oreilles « internes » et que je ne pouvais pas aller plus vite que le violon; et, deuxièmement, parce que je voulais faire l’effort de lire les mots sans entendre la musique. Pour certaines, il faut plusieurs essais, dois-je l’avouer…

Et puis les années passent… Après 1962, puisque l’ordre des chansons est chronologique, les merveilleux dessins de Diane Dufresne, qui s’affichaient plus souvent en noir sur blanc, prennent tout à coup des couleurs « vivantes ». Plus on avance dans le livre, plus on tombe sous le charme des illustrations qui, parfois, accompagnent nettement les chansons, comme c’est le cas pour « La complainte du phoque en Alaska ». À elles seules, ces œuvres font de ce livre un véritable objet précieux. On ne peut s’empêcher de les aimer. Souvent énigmatiques, toujours sensuelles. Des figures qui vous laissent « Le nœud gordien » noué dans la gorge. Comme étouffé par un alphabet d’émotions, par l’abc d’un art nouveau où se retrouvent tous les mots mis en images, où une lettre vaut une chanson, et où chacune est une découverte fantastique. L’ensemble forme un dictionnaire d’images pour une culture riche en symboles.

De plus, 1962, c’est l’année de « Les vieux pianos », mais aussi de « La vie d’factrie » ! de Clémence DesRochers. Chanson que je croyais beaucoup plus récente, dix ans plus jeune à vrai dire, et je l’imaginais même composée par Luc Plamondon, pour son « Starmania ». Voilà que je fais un gros plan sur mon ignorance, mais c’est une raison de plus d’être heureux de faire toute sorte de découvertes en parcourant cette magnifique collection, inestimable en souvenirs de tous genres, des moments qui ont marqué notre vie en quelque sorte. Aussi, il est bon de remettre les pendules à l’heure.

Cependant, il me semble qu’une anthologie soit plus facile à rendre heureuse quand les chansons que l’on veut rassembler dans un portfolio ont acquis une certaine maturité et qu’elles nous parlent par elle-même. Pas seulement par les souvenirs qui nous reviennent en tête à leur écoute : notre premier « slow », un premier baiser, un premier chagrin d’amour, une première rencontre, notre mariage, etc. En fait, et vous me voyez venir sans doute, je ne suis pas d’accord à 100% avec la sélection que Bruno Roy nous offre. Disons que je le serais à 92% : Je ne comprends pas certains choix. Notre patrimoine artistique de la chanson est tellement riche que j’ai du mal à hésiter en comparant certaines absentes à celles que je trouve parmi ces « cent plus belles ».

D’accord, puisque je sens l’insistance monter, j’en mentionne au moins une, voilà : « Comme j’ai toujours envie d’aimer ». Chanson à succès, c’est certain. Mais d’un ennui total à lire. Il me semble qu’une chanson de Diane Juster y aurait trouvé sa place, là. Une de ses chansons aux tons justes et authentiques comme elle sait le faire. Une grande oubliée, parmi tant d’autres. Une autre absence difficile : Daniel Lavoie. Parfois, les succès du « commercial » masquent les réelles beautés artistiques. Dans le firmament des étoiles, les éclipses nous jouent des tours. Bien dommage.

Peu importe ! Malgré ces quelques petites ombres au tableau, ce très faible nombre à vrai dire de petites étoiles que l’on remplacerait par de plus grands Soleils, ce trop petit chiffre « Cent » pour une aussi grande mission, la lecture de ce livre est plus qu’agréable, elle est souvent chargée d’émotions. La dernière page se tourne, frissons dans le dos, sur une note sensible et plus qu’excellente avec « Ce monde sans issue » : un texte de Gaston Miron, une musique de Gilles Bélanger; et aussi sur d’autres peintures de Diane Dufresne dont deux où l’on peut lire les titres des chansons en arrière-plan. Des œuvres que l’on voudra regarder longtemps et souvent parce qu’elles nous font traverser les âges d’une culture en un seul coup d’œil avec plusieurs coups de cœur.