Livre – Pierre Nepveu – La poésie immédiate – Lectures critiques 1985 – 2005

«La poésie immédiate» est un livre que je ne pensais pas commenter, mais les dernières pages m’ont trop ému pour m’en empêcher. Je m’emploierai donc à «critiquer la critique».

Tout d’abord, précisons qu’il s’agit d’une collection de textes de Pierre Nepveu parus dans le magazine Spirale entre 1985 et 2005 et rassemblés en un peu plus d’une trentaine de chapitres. Chacun de ces chapitres oppose et commente un ou plusieurs recueils d’un ou plusieurs poètes.

Je me suis laissé séduire par ce livre à cause de mon intérêt pour les commentaires. Je voulais mesurer l’écart entre mon approche, qui est plutôt descriptive et analytique, presque style «compte-rendu», et celle d’un critique professionnel.

Le but de mes commentaires, sauf pour celui-ci, a toujours été de «mémoriser» ce que m’inspire les œuvres que je lis. Je n’ai jamais eu l’intention de les «critiquer» dans leur droit d’être ou de ne pas être, dans leur état d’être ou de ne pas être en équilibre ou en état de «grâce» selon des supposés critères savants du métier. Au fait: commenter ou critiquer?

Dès les premières pages du livre, Pierre Nepveu nous explique que la poésie immédiate est «celle qu’on n’a pas encore lue, et que jamais personne n’a lue [sauf l’auteur]». Il s’agit donc de la première impression, celle qui dépend du talent de l’auteur à capter l’attention; celle qui dépend de l’intérêt du lecteur à rester attentif, son «degré» d’éveil au moment de la première lecture. Cette immédiateté dépend donc de deux sensibilités disjointes (celle de l’émetteur, celle du récepteur) qui doivent se lier, se connecter l’une à l’autre. S’accorder au diapason comme on dit en musique.

Ce premier regard sur un écrit doit combler une quête, celle que le lecteur ne sait pas qu’il a. C’est-à-dire: être surpris, ébloui, captivé, ému, informé, etc.

Mais, est-il possible d’être mieux disposé à la lecture (ou à l’écriture) une journée plutôt qu’une autre? D’attribuer un sens à une phrase un jour, et un autre sens à cette même phrase le lendemain? À la manière de ces dessins contrastés où les ombres présentent une image et la lumière en présente une autre totalement différente. Le positif et le négatif. L’endroit, l’envers. Le sujet, le complément. Écrire, c’est parfois jouer à pile ou face avec son lectorat. Néanmoins, la «poésie immédiate» peut-elle vraiment exister? N’a t’on pas besoin d’une seconde, voire même d’une troisième lecture?

De quoi dépend donc ce bonheur «herméneutique»? (Limitons-nous à la poésie, même si nous pouvions appliquer ces questions à toute autre forme d’art). Le poème doit-il plaire, distraire, instruire, explorer, déplaire, choquer…? Énumérons tous les verbes «sensibles»… Et le poète, doit-il être différent de tous les autres poètes, toutes générations confondues? Tout ça juste pour se conformer à l’idée que se fait la critique de la poésie «bien faite»!

Pleuvent les questions, pas d’ensoleillement sous aucun hypothétique parapluie de réponses! Un mélange de qualités démarcatives serait une piste de solution. Aussi bien dire qu’il faut mériter sa «marque déposée».

En ce sens, la critique critique en enfreignant le seuil critique d’une éthique quasi-inexistante, et je la critique en la qualifiant de critiquable à cause de ses débordements sans limite quand elle affirme sentencieusement et sans procès que telle œuvre ou telle autre n’est pas bonne. J’enfle le paradoxe de la limite dans cet univers infini où on critique pour critiquer comme d’autres font de l’art pour faire de l’art.

Personnellement, je favorise la liberté dans la création poétique; une écriture, comme tout autre, destinée à un lectorat, mais dans laquelle le poète peut définir ses propres règles. Son lectorat pourrait inclure les critiques ou pas, pourrait être imaginaire et métaphysique, le lectorat n’est que l’ensemble des «personnes» à qui l’on s’adresse au moment d’écrire. L’objectif de l’auteur se fond dans le message transmis par le biais de son œuvre à même le niveau du langage qu’il a choisi, et de bien d’autres choses.

Ainsi, j’ai horreur des il-faut, des il-ne-faut-pas quand ces il-faut et ces il-ne-faut-pas empêchent d’avancer, de se dépasser, d’explorer; quand ils assomment pour assommer. Il ne faut pas mal interpréter ce que je veux dire ici; il faut semer un grain de bon sens… Il ne faut pas des il-ne-faut-pas quand il faut des il-faut-cultiver.

Respectueusement (c’est mon intention), j’assènerai quelques coups méchants à cet auteur aux «Verbes Majeurs» que j’aime. C’est de sa faute, vous l’aurez compris, du moins je l’espère, à la fin de ce texte. En fait, c’est parce qu’il m’a ému qu’il se voit outrageusement victime de cette plume inconnue qui le barbouille en en faisant le bouc émissaire de la critique en général.

J’y vais de quelques citations suivies de commentaires. Dans «Quelques voyages dans le Réel», Pierre Nepveu affirme : «Il ne suffit pas de rappeler que le réel, la poésie a justement pour tâche de l’inventer.» J’avoue que cette phrase prise hors contexte paraît pire qu’elle ne l’est en réalité. Mais, qu’est-ce que la réalité? Comment peut-on affirmer que la poésie doit inventer le réel? Le fait d’exister ne rend-il pas tout réel, par conséquent tout irréel par la voie de l’imagination. Bref, que veut dire «inventer le réel»? Nous pourrions nous divertir «en inventant l’imaginaire», en s’imaginant inventer quelque chose qui nous plairait!…

Je suis plutôt d’avis que nous n’inventons rien. Tout se réinvente continuellement. Soyons réalistes, nous dirons que tout s’innove, perpétuellement. La poésie n’a aucune autre tâche que d’être elle-même. Si chez un poète elle se limite à ne rappeler «que le réel», c’est un choix. Certains autres s’amusent à inventer des anagrammes, la critique se voit dans l’obligation de calculer le nombre de possibilité pour un mot de ‘x’ lettres en calculant savamment x! (la factorielle). Mais dans la réalité, pour une langue donnée, il n’y a pas x! mots possibles. Et pour toutes les occurrences trouvées, aucune n’est «inventée», loin de là! Il me suffit de le rappeler à la réalité des choses: c’est un jeu poétique.

Un peu plus loin, dans «Voyages dans le non-sens», l’auteur y va d’un uppercut à l’endroit de Michel Lemaire : «Lemaire abuse parfois de l’énumération, il lui arrive […] dans certains poèmes de frôler les lieux communs du dragage et de la femme-objet […]» Est-il possible que l’on puisse abuser d’énumérations de la même façon que d’autres abusent de la boisson ou des sucreries? Il y a, en toute chose, un équilibre qui dépend essentiellement de la perception de l’observateur et de l’«esthétique» du créateur. Si l’auteur avait dans l’idée d’énumérer sans fin, n’avait-il pas ses raisons? Où commence et où finit l’abus? Même chose pour «frôler les lieux communs»: qu’elle est la distance qui sépare l’objet du frôlement? Et surtout! Quelle loi empêche le poète de les utiliser? Quitte à demeurer lui-même son seul et unique lecteur… Tout n’est pas bon, mais posons la barre du respect.

Combien d’auteurs à travers les siècles ont vu leur œuvre critiquée de cette façon? Pour les voir plongés dans la misère. Aujourd’hui nombre d’entre eux sont plus riches que bien des vivants!

Je crois qu’il faut, pour se permettre de critiquer l’architecture d’une œuvre, être capable de faire la part des choses entre ce qui nous touche personnellement et ce que l’auteur veut exprimer. Bien sûr, nous ne parlons pas de l’œuvre de Joseph-Anatase Bouleau de la forêt de Sainte-Arthémise-des-Merisiers qui a composé un petit recueil pour sa douce moitié. Il a droit au respect de ne pas être critiqué. Quoi que je suis certain que si cela existe, j’en serais (peut-être) ému, et que je serais tenté de le commenter. La poésie édifie le «vrai». Vive les maisons croches, vive les architectures anciennes et nouvelles, vive l’habitat du cœur humain!

La vraie critique pour un auteur est celle de ne pas être compris par le lectorat qu’il a visé.

Sautons directement au commentaire que je crois le plus acerbe du livre. Dans «Le nihiliste et le dandy», Pierre Nepveu y va d’un coup de massue sur la tête de Jean-Paul Daoust : «[…] Daoust produit une quantité vraiment industrielle de mauvais vers» et, juste après la citation d’un exemple de «mauvais vers», il lance que «On veut bien que tout soit ici ‘épique, baroque et décadent’, mais il y a un point où la métaphore trop filée devient risible». Encore une fois, je me demande où sont les limites qui font passer du côté «bon» au côté «mauvais» une œuvre quelconque.

Côté création, c’est une histoire de goûts indiscutables, d’équilibre aussi, j’en conviens; une question de maturité, également (qui reste à définir); une bonne dose d’acharnement, de travail assidu, de courage. La création, c’est comme sauter au-devant d’un train, alors qu’il file à pleine vitesse vers Dieu seul sait où, pour l’aiguiller vers ailleurs. C’est apporter sa force créatrice pour refondre les rails afin de leur imprimer une nouvelle direction. Une voie qui nous conduirait vers le pays de la Nouvelle-Poésie. Mais, nous recréons incessamment les mêmes choses, car les rails sont volatils. Toutes les explorations sont permises, car il n’y a pas de limites. Le pays de la Nouvelle-Poésie est le pays où le poète revient sans cesse: «chez lui».

Côté rédaction par contre, c’est mathématique : c’est écrit selon les règles de la grammaire et du langage ou ce ne l’est pas. Si c’est intentionnellement «dégrammaticalisé», c’est correct; dans le cas contraire, c’est un manque certain, possiblement une œuvre qui ne mériterait pas d’être commentée, mais qui sait ce que nous pourrions y trouver au décodage?

Quelle est la véritable mission de la critique? Quel rôle devrait-elle jouer? De quelle façon devrait-elle s’exprimer? Poser ces questions n’amènera jamais une réponse unique ni l’unanimité: chacun y va de son bagage. Le critique est-il conscient de la responsabilité qu’il a vis-à-vis les mots qu’il emploie et vis-à-vis les conséquences d’une mauvaise critique, spécialement quand il a le pouvoir d’influencer les pensées?

Pour en finir avec cette prise de conscience et pour tenter d’y voir clair dans notre esprit critique, allons aux dernières pages du livre où l’auteur parle de Marie Uguay dans «Écrire et aimer dans le désastre». Il y relate les grandes lignes de la vie de la jeune femme poète. Une trop courte vie… et commente son œuvre.

Mais surtout, il raconte comment il a été profondément marqué par des reproches qu’elle et son ami Stéphan Kovacs lui auraient formulés pour ce petit bout de commentaire paru dans une anthologie de la poésie québécoise qu’il avait préparée conjointement avec Laurent Mailhot en 1981; j’ai d’ailleurs, dans ma bibliothèque, l’édition de 2007 où, par contre, on ne peut plus lire que Marie Uguay serait «peu encline aux innovations formelles». Cette phrase aurait été écrite dans le sens que le poète «[se démarque] des expérimentations formalistes», mais Marie Uguay l’aurait prise dans le sens qu’elle «pouvait aussi laisser croire à une certaine naïveté». Ce qui l’aurait insultée ou blessée.

Aujourd’hui, nous savons tout le tragique de la vie sans «points de suspension», sans ellipses, de cette jeune artiste. Une vie où le point final était à une distance mesurable, voire même connue avec une précision étouffante; à proximité, à la portée du bout des doigts. Malgré cela, Marie Uguay ne s’est pas laissé étouffer, elle a respiré l’air de sa poésie jusqu’au dernier atome d’oxygène. Courage exemplaire. Esprit poétique. Esprit de l’infini… (sans limite…)

C’est ce qui a certainement ajouté à la blessure ressentie par le critique en Pierre Nepveu qui n’a pas eu la chance de se reprendre ou de s’expliquer. La critique souvent blesse là où on ne s’y attend pas du tout.

Ces dernières pages du livre présente ce qu’est vraiment «La poésie immédiate» pour moi: un chant qui vient du cœur de l’humain, du plus profond de ses racines; une force surnaturelle à l’état brut que chacun tente d’apprivoiser du mieux qu’il peut afin de «mieux vivre», pour reprendre les mots de Saint-John Perse. Peu importe le niveau d’intelligence esthétique, le niveau du langage, les mots, la forme, la maturité, les maladresses ou la naïveté, c’est l’intention qui compte.

« La poésie immédiate » – Pierre Nepveu – Éditions Nota bene – 2008.

Spectacle – Chloé Sainte-Marie – Nitshisseniten e Tshissenitamin

C’était le mercredi 10 février 2010, au Gesù, que Chloé Sainte-Marie lançait sa nouvelle série de spectacles entièrement brodés des chansons de son dernier album: «Nitshisseniten e Tshissenitamin» («Je sais que tu sais»). Un triomphe! Rien de moins. Un voyage au pays de l'Amérindien, un voyage au pays du cœur! – Je suis un pays envahi de silence et d'émotions. – (!!!)

Égale à elle-même, débordante de générosité et de sincérité, Chloé offre un spectacle hors du commun. D’abord, toutes les chansons sont en Innu, tel qu’on s’y attendait, puis chacune d’elles est jointe aux autres par de petites pièces en un acte sous forme de monologues ou de dialogues, l’ensemble se lie pour donner une œuvre à la fois théâtrale et musicale.

Elle fait beaucoup plus que présenter ou expliquer chacune des chansons. Après tout, on trouve toutes les traductions dans le livret de son dernier album. Elle a plutôt choisi trois axes de «partage»: l’amitié – quand elle dialogue avec «Bibitte» (Joséphine Bacon, sa sœur, son amie) sur tous les sujets; l’amour – quand elle parle à Gilles (son amoureux, l’unique, l’irremplaçable), pour qu’il soit là, tout simplement; l’engagement – quand elle s’adresse à la «foule», aux peuples, les blancs et les rouges, avec des messages dénonciateurs, des révoltes, pour exprimer des détresses; pour nous en faire prendre conscience.

Ce spectacle nous entraîne vers des paysages où chaque arbre et chaque cours d’eau projette sa mémoire au grand jour. Chacun parle d’amour, d’amitié; de rouge(s), de blanc(s); de mort, de vie; de partage, de partance, de migration, de souffrance et d’injustice; de survie. Un monde qui s’interroge jusque dans la profondeur de ses racines. Un monde qui rage aussi, parce qu’il est tissu métissé, détissé, déchiré, bafoué et abandonné. Un tissu «affaire classée» dans des réserves ou dans l’assimilation. Un tissu «confus» prit entre l’arbre et l’écorce, entre le blanc et le rouge. Le métissage nous entretue-t-il?!

La musique nous emmène au pays du silence, au pays du train-train quotidien et de la nature sauvage. Un silence de murmures et de témoignages hurlants, évoqué par les films présentés sur deux petits écrans découpés en bandes étroites et allongées, à l’arrière plan de la scène. La nature est témoin, elle est esprit, elle est mémoire. Chaque cicatrice reste présente, personne ne peut nier les coups de hache, les coupes à blanc et la sève rouge de la vie, de la mort, qui a coulé dans les rivières.

Jamais il n’y a exagération dans le ton, dans la langue et les mots; Chloé reste stoïque et simple. Elle chante et parle la langue innue comme si c’était sa langue, sans aucune difficulté, nous sentons qu’elle la maîtrise. Ce, malgré toutes les émotions qui l’habitent, on le devine, on le ressent, «elle sait, qu’on sait». On entend, dans sa voix, des questionnements qui nous plongent dans une impasse: Comment marcher à nouveau dans les sentiers rudes des mocassins quand le pas s’est chaussé de souliers vernis? Impossible la marche arrière!

Le plus émouvant des monologues est certainement celui où Chloé s’adresse à Gilles: «Où est Gilles s’il n’est pas dans mes rêves? Pourquoi ne vient-il pas dans mes rêves?» – Nous aurions pu entendre une mouche expirer et s’écraser sur le plancher du hall d’entrée tellement que, dans la salle, s’incarnait un silence astral qui figeait même la lumière des projecteurs. Si l’appel des esprits existe, «Il» était là, à ce moment même…

La mise en scène ne laisse aucune place à l’approximation, rien au hasard. Chaque chanson a ses gestes et ses éclairages propres. Tour à tour, il y a l’amérindienne qui danse, qui crie; il y a la flamme (l’aurifeuflamme) lorsqu’on projette sur la chanteuse des images qui l’embrase; ou encore, il y a les «esprits» quand la lumière peint sur elle, avec ses pinceaux, des lignes en fuite. Rien n’est laissé au hasard. Tout pareil quand Chloé converse avec «Bibitte» (la voix enregistrée de Joséphine Bacon – qui n’est pas sur scène); le dialogue, magnifique de synchronisation, est réglé à la cadence parfaite d’une horloge qui «respire», qui n’est pas figée ni automate. Une interprétation magistrale!

Même s’il n’y a eu aucune «maladresse suprême», pas même dans les moments les plus émouvants, il y a eu la magie du «vrai», un surpassement, une force de la nature!

Je suis certain que nous pourrions trouver une «représentation symbolique» ou un «thème mystique» dans ce spectacle où s’opposent Chloé vêtue en rouge à Chloé vêtue en blanc; ou «s’unit», peut-être, comme pour Chloé qui chante, Chloé qui parle… Souvent, les artistes changent de costume entre deux parties d’un spectacle pour «faire différent», ou parlent entre les chansons pour divertir. Ici, il y a plutôt des signes, une logique, un message. Il y a plus qu’un décor devant nous, plus que des costumes, plus que des gestes, plus que des mots. En fait, dans cette mise en scène et son contenu, il y a une œuvre. Quelque chose de beaucoup plus «songé» qu’un «plan» de spectacle. Nous devons cette belle orchestration scénique à la metteure en scène Brigitte Haentjens. Bravo!

Un autre ravissement sera les arrangements musicaux. Deux musiciens seulement: Réjean Bouchard et Gilles Tessier, qui se démultiplient comme par magie. En effet, à écouter sans regarder, on pourrait croire qu’ils sont au moins quatre. Ils réussissent merveilleusement à meubler l’espace sonore. Ils le font avec un si bel équilibre que la chanteuse demeure toujours l’élément principal autour duquel le reste gravite. Une belle homogénéité. Un travail d’équipe impeccable.

J’ai aussi apprécié, et même beaucoup aimé, le feuillet du programme de la soirée, format «grande carte de souhait» où on peut lire: «À Gilles, mon Amour». Nous y retrouvons tous les détails sur les chansons, dans le même ordre qu’elles sont chantées. À l’endos, il y a une magnifique photo de Gilles et Chloé, qui regardent au loin avec un même esprit, un même souffle, un même espoir. Une grande sérénité s’en dégage. Une image belle comme un Totem. Malgré la faiblesse du corps… Malgré la désertion du corps, il y a la force et la mémoire de ceux qui assurent la continuité. Longue vie à cette grande Chloé.

Un spectacle à ne pas manquer.

Poésie – Estuaire #139 – Peinture du temps – Paroles de Poètes – Bruno Roy

Je viens de lire le dernier numéro (139) de la revue «estuaire» (Le poème en revue) dans laquelle il y a des textes intéressants et sensibles, beaucoup certainement très émouvants, de Bruno Roy. On se souviendra qu’il est décédé inopinément en début d’année, le 6 janvier 2010.

On peut y lire des textes sur divers sujets qui se rassemblent autour du titre: «Journal dérivé». Les textes ont été rédigés entre le 2 avril et le 25 mai 2009.

On peut apprécier la belle écriture et l’esprit d’analyse du poète. Il commente, entre autres, la correction qu’il a faite du travail d’une de ses étudiantes à l’Université, la qualifiant de «vraie poète». Dans un autre texte, il pose quelques réflexions sur ses ateliers d’écriture où il rencontre certaines difficultés à convaincre ses étudiants «de travailler leurs textes». Il apporte toujours un élément de réponse à chacun de ses questionnements. Comme s’il se servait de l’écriture pour «raisonner».

Mais, il y a plus, s’y détache un thème principal, un sujet qui passe au premier plan. En effet, nous pouvons lire dans ses textes des réflexions sur la mort, plus particulièrement sur son expérience de vivre le deuil de son épouse. Ou plutôt son expérience de ne pas pouvoir le vivre. Tout lui rappelle Luce, la femme de sa vie: «Les mots D’Esther Croft […] ravivent le souvenir vivant de Luce»; puis: «Les mots de […] Danielle Dubé me touchent! […] Danielle me ramène, en raison du décès de ma Douce, à mes larmes […]»; et encore: «Dans le ‘Journal de deuil’, Rolland Barthes écrit qu’il n’est pas en deuil de sa mère, simplement qu’il a du chagrin. Je crois que depuis le départ de Luce, c’est ce que je ressens.» Et, un peu plus loin: «Quand donc le souvenir de Luce ne me fera plus pleurer?»

Viennent ensuite quelques réflexions sur la vie et la mort. Des réflexions assez poignantes maintenant qu’il nous a quittés: «La mort de Luce est une chose grave […] [m]ais cela ne doit pas nous empêcher de vivre. Est-ce que le départ de Luce annule […] mon goût de vivre? Non, il ne le faut pas. […] on ne décide pas de mourir, on vit le plus longtemps possible.» Quel beau message il laisse en héritage! Un message de courage et de foi en l’avenir, en la vie.

On y trouve des tourments, aussi: «écrire sur le décès de Luce […], est-ce de l’opportunisme littéraire?» La réponse est bien sûr non. Car il confie: «Aujourd’hui, j’ai l’impression que ce sont les mots que j’écris qui permettent le travail du deuil.»

La revue «estuaire» est l’une de mes préférées, j’en suis rarement déçu. De plus, elle a toutes les apparences d’un petit recueil. Elle s’adresse aux amoureux de la poésie, bien entendu.

Poésie – Jean-Claude Martin – Tourner la page

Février, déjà… janvier 2010 a été une catastrophe pour beaucoup. Ce serait certainement le temps de «tourner la page», métaphoriquement.

Mais, aussi, littéralement, car «Tourner la page» est le titre du nouveau recueil de Jean-Claude Martin publié par L’escampette Éditions Poésie.

Il s’agit d’une création qui nous ramène sur terre, qui nous racontent les «vraies affaires», à l’heure du temps intangible, où chaque seconde est une page qui tourne irréversiblement: «[…] la Beauté ne nous appartient pas. Ni le temps. […] tu n’es rien contre la Vague. Le Vent. L’ouragan…». On ne peut mieux comprendre la profondeur de ces mots, et surtout leur vérité, qu’en ce moment même, alors que Haïti en a fait le sacrifice de la preuve. On doit tourner la page sur ce désastre et ses chagrins, mais nous devons aussi réécrire toutes les pages du livre…

«Tourner la page» n’évoque pas que les grandes catastrophes, il fouille l’individu, il dessine un portrait de l’homme avec une palette d’événements à la fois simples et communs de la vie de tout temps. L’homme face aux événements, face aux femmes, face au destin; face à ses faiblesses aussi. Celles du narrateur, le poète, mais aussi celles de chacun. C’est un voyage dans le temps, dans le temps présent des pensées et de l’action, avec ses avant, ses après et ses pendant(s).

La première partie du recueil s’intitule «Tuer le temps». Quand on pense que toute la vie n’est faite que de temps, nous sommes contraints de constater que chaque geste et chaque pas deviennent témoin et juge: «La paix des lâches. Se cacher. Se terrer. Attendre que l’orage. Noie ceux qui n’ont pas trouvé d’abri ou d’alibi. Le temps qu’il faudra pour oublier leurs cris…» Pourra-t-on oublier? Le temps est un écrivain impitoyable pour la mémoire. Le temps nous charrie d’une émotion à une autre, d’un endroit à un autre, d’une page blanche à une page zébrée. Il nous pousse dans le dos avec la pointe effilée de son crayon.

C’est aussi un temps à deux faces auquel nous avons affaire, celui où la seconde a son antiseconde. Le temps des gestes concrets, le temps des gestes imaginés ou rêvés. Le temps qui avance en courant un pied à terre un pied en l’air.

La poésie de Jean-Claude Martin s’emplie de fraîcheur et de sens, parfois d’humour, avec ses jeux de mots, ses tournures, ses images: «Et que l’air du matin ait toujours l’air du premier matin du monde…» ou encore: «Fallait-il s’aimer par ce froid glacial ! La chaleur des sentiments. N’a jamais valu un bon anorak. […]» ainsi de suite, oscillant entre l’unique et la répétition, entre la froidure et la chaleur. De même la musique des mots, avec ses rythmes entraînants: «Fumée fumant, cerfs-volants volant, trains traînant, […]»

Dans tous ces vents contraires se bousculent en mille réflexions nos états d’âme, avec leurs grands questionnements: «[…] le magnétoscope retourne en arrière et s’arrête aux vieilles scènes si loin si proches qu’on n’a jamais toujours voulu revoir…», et avec la mise à la masse de notre conscience: «Et si aucune météorite ne tombe ce matin, on croira que ce paysage va durer pour l’éternité.»

Nous vivons sur une ligne de temps en équilibre et nous vivons sur une ligne de temps, en équilibre. Notre équilibre sur celle du temps, et sur la peur de rater une virgule…

Témoin et juge, mémoire du temps, et quand la sentence tombe: «je le craignais le temps est le plus grand des chirurgiens il recoud toutes les plaies pourquoi pourquoi laisse-t-il toujours les griffes à l’intérieur ?» Le temps est un crayon sans efface! Le temps ponctue le sens du texte. La griffe de l’auteur nous empoigne, impossible de s’en échapper, nous ressentons cette souffrance que laissent les cicatrices.

Après avoir tuer le temps, que reste-t-il sinon la mort: «Mourir : juste une habitude à prendre.» «In memoriam», en mémoire des oublis, en fait. Comme on oublie les feuilles tombées à l’automne et qui «sont encore de jeunes endormies. Belles au bois dormant. […] Et nul ne saura. Comme la main devant les yeux. Qu’un jour elles ont caché le ciel.»

Dans la mémoire, il y a aussi les remords qui «occupe le temps!»; et «Vite, le silence du remords…» Que peut-on cacher au temps?

Le dénominateur commun dans l’œuvre de Jean-Claude Martin est très certainement l’alliage des oppositions. L’union du pour et du contre, du vrai et du faux, de la réalité et de l’imaginaire, de la seconde et de son antiseconde. Comme l’indique le titre du troisième chapitre : «L’envers, c’est les autres?», il y a un endroit et un envers, l’un opposé à l’autre au même endroit. Notons le point d’interrogation qui transforme ce titre en un moment suspendu. Et aussi, souvent, le poète le fait en jouant sur la ressemblance des mots : «Le bout de la route est-il le but de la route ? Être au bout, être à bout. Échéance, déchéance.» Entre «bout» et «but», entre «au» et «à», entre «Échéance» et «déchéance», il n’y a toujours qu’une seule lettre de différence. Le temps dessine l’étymologie aussi, avec ses mouvements de vie et de paroles.

Le temps s’étire-t-il, se prolonge-t-il vraiment: «Pourquoi ce besoin de se prolonger dans autre chose ? Parfois des œuvres d’art !»? Quelle est donc la limite du temps, sinon la vie elle-même qui s’est écrite au fur et à mesure? Quand l’œuvre d’art cessera-t-elle d’exister? À sa destruction dans une catastrophe? Ou, quand la vie ne serait plus là pour la regarder ou pour y penser? Quand elle ne sera même plus oubliée?!

Le livre se termine avec «Quelques jours en mai» écrit à la mémoire du père du poète. De tout le recueil, il s’agit très certainement du chant le plus émouvant. Qui relate les derniers moments que le fils a passé avec son père: C’est d’ailleurs là que Jean-Claude Martin avait puisé les textes qu’il a lus au festival de la poésie de Trois-Rivières à l’automne 2009. Un moment inoubliable de ce temps passé avec lui.

«Comment accepter seulement ça : n’être plus ?»

Poésie – Hélène Monette – Thérèse pour joie et orchestre

Je ne pouvais m’empêcher de partir à la découverte de celle qui s’est mérité le prix littéraire du gouverneur général 2009 dans la catégorie «Poésie».

Et quelle découverte!

Elle compense pour les deux lectures précédentes pour lesquelles je n’avais rien à dire, en panne d’écriture, possiblement. Malgré les apparences, où on ne me voit qu’écrire des éloges (ou presque), je suis extrêmement difficile dans mes lectures. Si je m’ennuie le temps d’un paragraphe, d’une page, c’est fini, je feuillette le livre jusqu’à ma libération.

Mais, en ce qui concerne Hélène Monette, musicienne des mots, je me suis laissé happer par les pages qui m’alimentaient en oxygène. Dans son dernier recueil, elle nous interprète «Thérèse pour joie et orchestre», une suite pour grand orchestre en cinq mouvements: Prélude, Fantaisies, Pastorale, Oratorio, Nocturnes et gospels. Ce recueil intégrera assurément ce petit coin spécial dans ma bibliothèque que je réserve aux œuvres à relire.

Il y a tant de choses ou d’angles sous lesquels nous pourrions «écouter» ce long poème, pour l’analyser, pour l’apprivoiser, voire même s’en accaparer, le faire sien pour toutes sortes de raisons, dont un moment vécu ou une Thérèse à nous, qu’il m’est difficile de choisir.

Commençons par le lexique. Le poète couvre un vaste terrain de jeu où la variété des teintes et des domaines est quasi encyclopédique. Tout y passe, les arbres, les animaux, les objets, la musique, le cinéma, etc. Les noms de personnes connues et des expressions populaires même: «Je me souviens de Hugues Aufray / chantant Céline, mieux que d’un Sibelius bleu ciel / ou d’un Beethoven […] / […], je me rappelle, Wagner était maudit / Berlioz entouré d’animaux et de fleurs / j’entends la voix de Gérard Philipe / et je vois les yeux tristes de ma sœur». Ou encore: «Bach est dans le coin / Ferland assis sur une chaise droite […] / et sa jeune tête de Brel […] / Nana Mouskouri dont c’est un jeu de dire / qu’elle ressemble à ma sœur Thérèse ». Des titres de films aussi: «de la boîte animée s’envole l’air du Docteur Jivago». Et des expressions tout en fantaisie: «inédite soupe au lait conciliante en diable»; «dépassé la clôture au muguet, au diable vert / dans le Champ»; parfois «un ange passe» et puis «fait que là ‘a dit… pis lui ‘i dit…». Tout ça utilisé avec bon goût, sans exagération aucune, sans répétition, sans ressassement obsessionnel d’expressions de mêmes types. Un jeu d’équilibre fait de mélodies et de contrepoints.

Déjà, si le lexique offre une bonne base à la diversité, qui tient le lecteur rivé au texte, il y a aussi le rythme toujours soutenu, preste, qui nous tire comme une cascade pour nous boire tout entier: «parce que tu rimes avec amour / je lève les yeux pour te voir passer / tel un ange qui bat des ailes / dans ce qui se peut de lumière / au-delà du monde effondré» ou encore: «amah / mon amah / Pivoine de Chine du Nord / au Fleur de Pommier du Canada / qui protège des monstres / et de la retentissante solitude». Des élans variés, comme les mouvements de ces grandes symphonies classiques qui ne mourront jamais.

Mais qui est cette Thérèse? «Thérèse est ici, Thérèse est là». Thérèse est celle à qui et de qui la narratrice parle. Elle est sa sœur, elle est partout. En fait, tout gravite autour de Thérèse. Même si son nom varie dans le courant des mots qui s’agitent du début à la fin, c’est toujours vers elle que vont nos pensées: «Thérèse, ô Maître d’Humilité», elle prend vie par des qualificatifs, des caractéristiques, par des envolées. Elle est l’amie entre toutes: «une chance qu’il y a le pont Thérèse / pour tout traduire / le Vide, l’Aller et le Retour». Elle est unique, elle est présence.

Et, Thérèse incarne la musique même, dans des variations sur un thème: «Se terrer / Terreur / Se taire / Teresa se terre / […] / Thérèse Terrigène, Teresina Termite / Tergiversante Miss Terre […] / Terrier / Territoire / Terrible Terrestre / Teresa Ténèbres […]» et ainsi de suite comme pour faire le tour de toutes les dimensions possibles de cet être cher qu’une grande sœur représente. Ce passage n’est pas sans nous rappeler le poème de Rolland Giguère dans «Forêt vierge folle: Le temps de l’opaque». Des moments inoubliables, une musique écrite en mots de caresses, en peau de douceur.

En outre, au-delà des mots et de leurs textures, il y a les images: « les ballerines enfermées dans le salon / rêvaient sur la pointe des pieds / exaltées de Prokofiev». Nombre d’images peintes en milliers de tableaux déferlent sur cette grande banderole qu’est cet éloge à Thérèse, où on l’incarne dans toute sa grandeur et dans toute sa beauté.

Toutefois, où est-elle Thérèse? «(il y a un squelette dans la chambre des maîtres / et c’est Thérèse) // Tereza Trezor / avec les yeux brouillés de la mort, tu m’as saluée»

Thérèse est dans le chant de sa sœur, un poème de 153 pages où tout un univers «gambade» devant nos yeux. Elle est Thérèse dans notre souvenir, la «Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-éperdu», la «Thérèse de Lisieux comme une actrice». Elle est cette personne qu’on aimait, cette sœur comme une autre âme collée à la nôtre, une inséparable, une richesse inestimable qui reste là exposée en notre cœur.

Même si maintenant Thérèse est partie, et que nous la voyons dans ce dernier lit, nous savons que «Ce n’est pas un tombeau / c’est un coffre à bijoux ouvert».

Livre – Jean-François Poupart – Gallimard chez les nazis

Commençons par un «peut-être!». Peut-être que cet article sera le plus lu de ceux que j’ai écrits et que je n’écrirai. Un titre choc, un tir à bout portant en plein cœur de la mémoire humaine. Admettons-le, il y a quelque chose qui nous chiffonne, qui nous griffonne quand une image ou une réalité vient nous cogner le nez pour nous sortir de nos rêveries et nous vaporiser le dedans de doutes: suis-je né dans le bon camp?

Ah! L’élégance d’être nègre, le courage d’être juif! Brel en savait-il plus que tous les autres? Qui sait?

En attendant, revenons à ce petit livre, tout petit, il est le premier d’une nouvelle collection chez Poètes de Brousse nommé «Essai libre». La collection et le livre sont probablement tous les deux nés d’une exaspération de l’auteur face à une publicité de Gallimard qui aurait chanté haut la note dans le vent de la vantardise: «[…] rigueur intellectuelle et morale […]», autrement dit la maison d’édition aurait mené une vie centenaire vertueuse, frisant la sainteté. Mais, il fallait se souvenir, et faire attention aux grains de chapelet que furent chacune de ces années.

D’emblée, l’auteur y va d’une mitraille de phrases courtes et incisives pour nous bombarder de faits, voire même, peut-être, de révélations, toutes plus intrigantes les unes que les autres, toutes choquantes et fracassantes aussi; mais, possiblement, toutes aussi vraies que fausses selon le point de vue. Qui sait de quoi l’histoire est faite? De documents signés, de déclarations publiques, d’articles de journaux? De procès équitables? Non, laissez-moi rire un peu! Ce n’est pas d’aujourd’hui que la rhétorique est mathématiquement insoluble pour qui recherche la vérité pure. S’il vous plaît, lisons les journaux d’aujourd’hui. Il suffit d’élire un maire pour que tous les scandales s’effacent de la mémoire et des discussions!

La vraie histoire se vit au quotidien, l’actualité est bonne pour les amateurs de théâtre et, surtout, de comédie. Les crayons écrivent l’histoire, les humains la vivent. Au bout des crayons il y a des effaces, au bout des humains, la mort. Combien de morts, oui, presque un mort par vivant, si nous comptons ce qu’on appelle des survivants (traumatisés dans l’âme et oubliés, les estropiés, les éclopés, les déchirés, les non-comptés).

Toutefois, nous aurions beau accuser l’un, blâmer l’autre, fouiller dans l’âme de chacun, nous retrouverions, peut-être, que des coupables. Qui n’essaie pas de profiter des situations à son avantage? Qui ne se place pas du côté du plus fort? Faites vos jeux! Choisissez: Napoléon le Grand ou Napoléon le Petit? Je choisirais Hugo, et vive l’exil! Le pays des vrais poètes.

Le grand petit livre a le mérite d’être très bien écrit; et, par moment, j’aime les quelques passages où l’auteur place les choses en contexte: tiens donc, tel auteur a publié nombre d’ouvrages à telle époque, dans telle circonstance, pendant que tels autres furent tués, expatriés, exilés, disparus; et, puis, tels autres ont été graciés après la guerre, tandis que ces autres-là disparurent mystérieusement. J’imagine qu’il y a suffisamment de détails dans ces quelques pages pour permettre à quiconque d’approfondir un sujet ou l’autre en particulier, selon sa curiosité. Je serais tenté de vérifier quelques-unes de ces affirmations, car je soupçonne que certains faits ou relations amicales (ou autres) eurent lieu avant 1939, et qu’ils seraient cités ici hors contexte, mais bon, vérifions…

Le plus grand bienfait de ce livre est très certainement de nous forcer à l’examen de conscience. De mettre un point d’interrogation sur nos réponses aux questions fondamentales suivantes: qui sont les bons, qui sont les méchants?

Par contre, comme dans toute rhétorique, ce livre présente le défaut tout à fait «américain» de prétendre viser une guêpe alors qu’il tire sur toutes les ruches environnantes. Le titre vise Gallimard, mais les autres maisons d’édition françaises n’échappent pas au pilonnage intensif, que ce soit les Grasset, les Flammarion, les Fayard et tous les autres grands noms; nul n’est pur ni auréolé. Il aurait été plus singulier de rechercher qui n’a pas collaboré, mais le livre aurait été beaucoup trop petit, peut-être.

Livre – Dany Laferrière – L’énigme du retour

Le dernier livre de Dany Laferrière, classé «roman»! «Roman point d’exclamation» parce qu’au premier coup d’œil, en faisant voler les pages, on a plutôt l’impression qu’il s’agit d’un long poème.

Mais ce n’est pas un poème, bien qu’en quelques occasions les images soient évocatrices et poétiques (un peu), surtout rythmées et souventefois construites individuellement à l’intérieur d’un chapitre qui, lui, nous plongera dans une autre réalité, soudainement, après une rupture ou une bifurcation inattendue. Cette brisure survient presque toujours dans la dernière phrase, les derniers mots même. Dès lors, la forme du texte évoque en nous la structure de l’haïku, peut-être, où en entrée nous avons les observations, puis à la toute fin une révélation; mais, ici, ce n’est pas le cas, à mon avis. L’auteur tient son lecteur en haleine, tout simplement, il crée des énigmes, ou des chocs, plus précisément.

Malgré cela la question persiste: est-ce un roman? – Je ne saurais répondre. Le livre n’est pas sans «histoire», par contre il n’y a pas d’infraction à l’ordre ni de quête «formelle», nous pourrions en imaginer une, mais elle resterait à débattre: que veut Windsor Laferrière? Qu’a-t-il obtenu? Que n’a-t-il pas obtenu? Encore une fois, je n’ai aucune réponse. Toutefois, je le concède, il y a plusieurs intrigues au fil des pages; pourtant, elles ne seront jamais résolues! Ni même ne retiendront-elles l’attention, ni ne seront-elles exploitées. Par exemple: qu’y a-t-il dans la valise de la Chase Manhattan Bank? Nous ne le saurons jamais. Pourtant elle nous hante de la première à la dernière page.

En fin de compte, n’est-ce pas une biographie? Hmm! Non plus, du moins pas vraiment. Il n’y a pas suffisamment de points de repères pour permettre de s’y retrouver dans la vie du personnage principal. Ce livre nous laisse suspendus dans nos pensées. Tout y est décrit, écrit, comme un filet de pensée issu d’une seule et même personne. D’ailleurs, la typographie pour les dialogues est inexistante, il faut que le lecteur demeure attentif s’il ne veut pas s’embourber dans les répliques entre les différents personnages. Curieux! (?)

Cependant, ce livre nous laisse quand même «enrichis» de l’avoir lu, il ne nous laisse pas vide. Il nous dépose chez soi avec l’impression d’avoir voyagé, d’avoir marché dans les souliers de Windsor Laferrière. Nous y vivons son histoire, qui, soit dit en passant, me rappelle celle de «L’étranger» d’Albert Camus, que je devrais relire avant d’aller plus loin dans les comparaisons, d’ailleurs les deux livres commencent exactement de la même façon, l’un par l’annonce du décès de la mère, celui-ci par l’annonce du décès du père. On y voit derrière chaque page, chaque phrase, un je ne sais quoi qui nous ramène à la confidence typique des écrits de type épistolaire, où le partage amical des sentiments intimes se manifeste à chaque instant, une suite de confidences entre amis ou parents. Sentiments dont le noyau dur est la solitude, l’exil et la misère; sentiments qui émanent de l’écriture comme d’un récit raconté directement du narrateur au lecteur.

D’emblée nous nous posons la question: le narrateur et l’auteur ne font-ils qu’un? Si nous répondons «oui» à cette question, nous replongeons dans le dilemme de l’autobiographie même si succincte, l’histoire d’un moment dans la vie de Windsor Laferrière qui vient d’apprendre la mort de son père du même nom; sinon, et je crois que c’est de cela qu’il s’agit, l’auteur nous charme en créant un personnage dont nous ne pouvons croire fictif. Un personnage plus vrai que nature, qui accepte que le lecteur entre en lui, pour en découvrir, sans frein aucun, sans pudeur aucune, toutes les dimensions.

Au bout du compte, d’un cas comme de l’autre, nous devenons témoins de la vie d’un Haïtien coincé entre la torture des hivers montréalais et la misère de son pays. La souffrance dans l’exil, dans l’absence d’appartenance; le fait d’être un étranger partout.

J’aime à penser que ce livre puisse être un complément à la lecture de «L’étreinte des vents» de Hélène Dorion. Un mariage romancier-poète, où une même voix solitaire chante les joies laissées par les liens et les blessures à jamais gravées dans l’âme par les ruptures.

Musique - Huu Bac Quash - Rencontre autour du dan bau


Une autre soirée magique (19 novembre 2009) à la maison de la culture de Côte-des-Neiges où quatre excellents musiciens nous ont offert une musique métissée exceptionnelle.

D’entrée de jeu, sautons dans le vif du sujet: le dan bau est un instrument de musique monocorde vietnamien, il se joue en pinçant cette corde avec un plectre allongé tenu par les doigts de la main droite, pendant que le bord extérieur de celle-ci coupe la corde en l’effleurant ou en s’appuyant contre elle à des endroits bien précis, déterminés par la longueur de la corde vibrante (selon la théorie de Pythagore, en physique acoustique). Ce qui produit les harmoniques naturelles de la note de base (la note de la corde jouée à vide). Les autres notes sont obtenues en actionnant un levier avec la main gauche. À partir d’une note harmonique quelconque, nous pouvons obtenir toutes les autres en actionnant ce levier. Celui-ci permet de jouer les notes plus hautes en le poussant vers la gauche et les notes plus basses en le tirant vers la droite. La sonorité de l’instrument est très asiatique, c’est certain, mais elle est aussi très douce et riche. Le dan bau permet des notes longues et modulantes, un peu comme une voix plaintive et chantante. Mentionnons que cet instrument exige une oreille infaillible, comme pour le violon.

C’est Huu Bac Quash qui en joue admirablement bien. Il est aussi le rassembleur pour cette soirée. Il s’est entouré de Adam O’Callaghan qui joue un autre instrument plus ou moins rare qu’on appelle le thérémine.

Pour ceux qui ont vécu les années Led Zeppelin à leur début, ils se souviendront de cet étrange instrument (une antenne) que Jimi Page se servait pour ébranler le «forum». Instrument qu’il saluait de la main pour produire les différents sons « sauvages » et « psychédéliques ». Adam O’Callaghan pousse l’antenne beaucoup beaucoup plus loin, il maîtrise cet instrument au point de le faire chanter tout ce qui est possible d’imaginer, voire même de jouer en duo avec le dan bau des pièces aussi inusités pour ces instruments que celles de Bach! D’autant plus spectaculaire qu’il ne touche pas l’instrument du tout. C’est que le thérémine est constitué essentiellement de deux antennes, une verticale pour produire des sons de différentes hauteurs, joués avec la main droite qui «danse» horizontalement en se rapprochant ou en s’éloignant, et une autre antenne horizontale pour régler le volume du son avec la main gauche qui, elle, monte et descend afin d’obtenir le niveau recherché. Ce qui donne à Adam O’Callaghan une allure de chef d’orchestre ou de danseur de ballet de mains, aux gestes extrêmement précis, à la longueur d’onde près.

Il y avait également Sarah Toussaint-Léveillé, une charmante jeune chanteuse qui interprète ses chansons en s’accompagnant à la guitare, pendant que le dan bau imite la guitare dite hawaïenne ou «pedal steel guitar». Une voix puissante, une personnalité ricaneuse par moment, et de belles mélodies enrichies de beaux textes autant en anglais qu’en français. Sa voix, son style, nous rappelle les boîtes à chansons des années 50, surtout pour les chansons en Français; tandis qu’en Anglais elle épouse des accents folk solides et typiques.

Enfin, le dernier, mais non le moindre: Ramon Cespedes, chanteur, guitariste et percussionniste nous a offert des chansons plus «funky», certaines teintées du plus pur blues, il faisait penser à Robert Johnson par moment dans sa façon de tenir la guitare et d’en jouer. Une voix éloquente, un charisme certain avec un bon sens de l’«entertainment» et un humour contagieux. Il a également chanté ses propres chansons en français et en anglais, des rythmes qui nous emportent, des mélodies qui nous séduisent.

Malgré le paysage assez «remarquablement» hétéroclite, l’ensemble s’unit pour nous offrir une toile «impressionnante» digne des grands impressionnistes. Des couleurs qui enchantent.

Une belle soirée de qualité exceptionnelle, et qui n’a pas coûté un sou.

Poésie – Maram al-Masri – Les Âmes aux pieds nus

Parfum de femme, dans un jardin de femmes. La beauté est trésor, la beauté de l’âme et du corps. Elle loge dans la bonté du regard, source de tout, porte de la maison et du cœur.

Mais, allez savoir pourquoi il y a des gens qui arrachent les fleurs, saccagent les jardins, détruisent la beauté ou la laisse périr! Ils sèment l’horrible, la souffrance; et le jardin devient une désolation, une tristesse, un cimetière où des épitaphes, pour des femmes blessées, arrachées à leur vie, mais vivantes, sont gravées sur des monuments brisés, tristes et gris: des monuments tel un regard vide qui veut dire: je n’existe plus, oubliez-moi, laissez-moi gésir en paix. Le jardin fané devient un tombeau où la vie s’est arrêtée pour ces femmes emmurées.

Ainsi je décrirais la douleur que la poésie de Maram al-Masri dénonce. Cette femme poète parcourt le monde avec ses poèmes dans les mains et dans le cœur afin de semer, de livrer un message d’espoir et d’amour pour toutes ces victimes, délaissées, abandonnées. Il n’y a que des faits dans sa poésie, aucune fiction, que des fresques poétiques où les couleurs, les paysages, les jardins se présentent délavés par les sanglots que l’on devine à chaque page.

Maram al-Masri s’y prend d’une manière à la fois originale et saisissante. Le titre des poèmes porte, la plupart du temps, le nom de la personne dont il est question, par exemple «Anne», et juste dessous est inscrit cette sorte d’«épitaphe», qui donne des informations telles que: «Mère: Jeannette / Père: Pierre-Jean / Née à Lorient / Âge: 35 / Profession: sans», puis le poème suit, il décrit la misère, bien réelle, parfois à la manière d’un récit, parfois même dialogué, comme pour «Anne», elle, dont le mari est devenu orgueilleux, fier de lui, et pour qui elle est devenue personne, moins que rien! À un point tel que l’humiliation dépasse les bornes: «[…] il appuya sa main sur ma tête, / la colla contre le sol». Anne, dans sa solitude, dans sa blessure, lancera cette plainte dont le chant est admirablement bien écrit: «Je me suis affalée / avec toutes les mères que je suis / toutes les femmes que je suis / toutes les filles que j’ai été / fermant les yeux / le visage contre la fêlure / pour ramasser / avec mes cils / le sel de mes larmes / brisées.»

Aussi, il n’y a pas que la violence physique, cette femme poète couvre toutes les tristesses qu’elle croise sur son chemin: «Madame Dupont a deux enfants. / Ils ont perdu son téléphone.» Ou «Monica et les autres», pour quelque argent «ouvrent leurs boutiques / et ferment les yeux.» Ou encore Sara (9 ans) qui se demande pourquoi son père bat sa mère, c’est que celle-ci ne sait pas bien repasser les chemises: «Moi, quand je serais grande / je repasserai les chemises / très bien.» (!!!) Et que dire de: «C’est vrai, je suis venue dans son bureau / avec mes propres pieds. // […] // Il était fort […] // Moi, faible […] // Je suis silence, / rage, / pitié, / tristesse, / pour l’homme qui m’a violée.»

Tous les poèmes, et il y en a plus de soixante-dix, présentent des événements réels, elles sont toutes réelles, ces femmes, ces filles; et Maram al-Masri les a toutes rencontrées; C’est dire comment, au-delà de la poésie, elle pose des gestes d’une grande beauté, d’une très grande bonté. Le don de soi, le don de soulager et peut-être même le don de changer les cimetières en jardin.

«Je pleure pour toi / Femme pleine de lune / Pleine de rivières / Pleine d’arbres»

Maram al-Masri, Le Temps des Cerises, 2009.

Poésie – Benoît Lacroix – Le P’tit Train


Après quelques lectures, quelques recueils, et quelques recueillements désespérés, parce qu’aucune de mes dernières lectures ne m’inspirait de commentaires, des recueils pourtant très bons, mais sans cette saveur qui anime les cellules rhétoriques qui vous forcent à vous exprimer sur le sujet qui vient de vous inonder de son aura, je croyais avoir perdu l’étincelle juvénile de l’enthousiasme!

Alléluia! ces dernières minutes que j’ai passées en compagnie de Benoît Lacroix viennent de me sortir de ma torpeur. J’avais déraillé, peut-être, me revoilà sur les rails.

Le P’tit Train est une histoire du quotidien, c’est comme une horloge qui indique aux villageois le temps qu’il est: le temps de rentrer, le temps de sortir, le temps de s’amuser un peu avant qu’il ne soit le temps de dormir; c’est comme un baromètre qui indique le temps qu’il fera, beau temps, mauvais temps, grosse ondée ou bordée de neige; c’est également comme une musique qui bat la mesure avec ses pompes de défilés d’acier tapageuses, sa cloche «ding, ding, ding», son sifflet «Hou… ou… ou… ou!»

Aussi, il décore le paysage. Il se fait tantôt chenille, tantôt lézard, tortue, mouche noire. Il a des allures de «tête énorme, carrée, taillée en bûche d’érable. Gros nez mal ajusté. / Vu de face: toujours en grimace. Un bouledogue!» Quelles belles images, bien vues et bien chantées!

Mais, on s’en doute, le 36, c’est beaucoup plus que ça, c’est un ami, un ami fidèle, un confident, un bon vivant, un père, un frère, une mère peut-être. Il prend soin de nous amener où nous voulons, de nous ramener aussi, à bonne gare, toujours à l’heure, toujours là pour nous.

Mi-récit, mi-poème, Le P’tit Train est très bien écrit. L’auteur nous tient en haleine avec un rythme soutenu, galopant avec l’élégance du cheval, vapeur. Il utilise des expressions du terroir, bien de chez-nous: «Celui-là, i couraillera pas les églises! avait prédit une tante écornifleuse.» On y trouve nombre d’onomatopées bien chantantes: «[…] tous les matins, tous les soirs, timpin-timpant, houloulou-houloulant, pétaradant, cascadant, tarataquant et hoquetant, chuchotant et tcheutchotant […]» toutes plus savoureuses les unes que les autres.

Un train très humain finalement, il a une âme et nous ressemble étrangement. L’expression «train-train quotidien» nous vient à l’esprit même si elle n’est pas écrite dans le livre. Ce sont nos joies, nos labours, nos amis, notre famille, notre vie. Ce livre dit que la vie est belle et il lui donne un sens!

L’édition originale date de 1964, ce petit livre a fait son chemin discrètement, il a été remis sur les rails régulièrement, et avec raison.

Dire que je suis tombé dessus, par hasard, lors de ma visite chez Olivieri pour entendre les lectures des poètes du Noroît. J’en avais entendu parler, il y a longtemps, je l’avais cherché, mais Le P’tit Train s’était toujours «poussé», comme si l’heure n’était pas encore venue pour moi de monter à bord. Maintenant, je l’ai…

Benoît Lacroix, Éditions du Noroît, 2001.

Poésie – Pierre Nepveu – Les verbes majeurs

Aujourd’hui, j’ai plongé dans les grandes eaux: «Les verbes majeurs» de Pierre Nepveu; je suis en extase extrême. Le recueil m’a coulé sous la langue pour m’inonder le palet de visions incessantes, déglutissant tels les rapides d’une rivière déchaînée. Je l’ai englouti comme on dévore des forêts-noires, ou comme on boit l’eau des fontaines pendant la canicule. Un livre d’environ 100 pages qui se lit comme une phrase. Une symphonie en quatre mouvements composée en verbe dièse majeur. À vos archets!

Un premier mouvement: «La femme qui dort dans le métro», allegro con moto, «La femme qui dort dans le métro / traîne au petit matin / les longs travaux de sa nuit.» C’est une femme que nous voudrions sortir de sa misère, mais elle nous échappe; elle est inatteignable, soit parce qu’elle n’existe pas, soit parce que nous n’existons pas pour elle.

Un poème tel un flot incessant d’images pour composer un film où les mouvements nous secouent dans tous les sens. Par exemple:

Horizontal: «l’armada des classeurs fonçait sur elle, / leurs dossiers frémissant de toutes leurs feuilles»;

Hélicoïdal: «Là tourne sans fin le carrousel de la joie, / des enfants s’envolent sur leurs balais / pour atterrir sur des pelouses tendres»;

Fluide: «La mousse du seau d’eau déborde, / une mare sur la moquette laisse une tache / qui a la forme d’un pays […]»;

Centrifugé: «tout son corps penche dans la courbe / qui devient un cercle et tourne, tourne / centrifugeuse de vie, essoreuse».

Et, d’une manière bien contemporaine, dans un mouvement «électronique»: «[…] dans la nuit se gonflait / le chant symphonique des téléchargements / la belle chorale des mémoires vives / […] rafales d’icônes.» Ne voit-on pas ici la transmission des données vers l’unité centrale de traitement? les mots circulent dans les veines des circuits électroniques, il s’écrivent sur les plateaux, dans la matrice secteurs-cylindres de l’unité de stockage. La main et le stylo cèdent la place au bras de lecture et écriture; et, tel un chef d’orchestre, la tête matérialise les ordres du créateur afin d’en sauvegarder le souvenir, de le graver dans la mémoire permanente: le livre.

Mais, tout au bout de ce fleuve cinématique, il y a l’impuissance du poète et l’attente inutile de la femme, l’inertie: «elle posera ses mains ouvertes sur ses cuisses / pour recevoir un don qui ne viendra pas.»

Deuxième mouvement: «Des pierres sur la table», andante, à la lenteur apparente des mouvements orbitaux: «Mais les cailloux […] / […] épellent sans bruit le mot toujours / qui est le mot le moins humain qui soit […]».

Un mouvement imperceptible cette fois nous enveloppe, puis envahit notre pensée. Un mouvement qui prend par surprise aussi: «en craignant de sortir sous un ciel plombé / lâcheur de glaces et d’oiseaux durs». Un os qui devient pierre, c’est la mort qui persiste comme la dureté du roc: «[…] l’idée de mourir / est sans pitié pour les justes / qui ont appris dans la journée / que les nouvelles du corps / étaient mauvaises.»

La pierre, c’est le mouvement invisible des choses qui piègent l’humain, elle incarne la douleur profonde de ce que représente l’éternité vide de l’homme, lui qui est témoin de l’immuabilité de la pierre: «Les pierres sur la table sont une grande douleur / muette comme une rivière arrêtée en janvier» et «je n’ai trouvé que le poing fermé du granit, / une sérénité pas même remuée par le temps, / les pierres dormaient sur la table, / […] / […] se tendre hors de mon souffle / pour épouser leur forme.»

Troisième mouvement: «Exercices de survie», lento assai, l’arrêt du temps, une profonde méditation sur la vie, face à l’inévitable rupture de chacun de nos liens. La caméra tourne lentement, comme une marche funèbre, mais sur une rivière à grands rapides. Il s’agit d’un mouvement venant de l’intérieur cette fois: «Angoisse géante: / on s’y croyait amplifié / de quelques vies et rendu / à l’éclat de nos os quand passa / l’incendie du deuil.»

Quatrième mouvement: «Chant pour un passage», allegretto. Ce sont des rafales de vents contraires: les scènes se bousculent allègrement sur une rivière rêveuse et paisible, un flot de vers plus longs, presque proses, et plus tranquilles: «les peines glaciaires et les passions nourricières, / les tendresses douces comme du lait […]», parce que «Nous marchons dans la beauté / nous marchons dans l’immense / et l’immense nous reçoit.»

Un magnifique recueil où nous devrons, dans les années qui viennent (dans les prochaines cinq milliards d’années), «[…] inventer / la guérison des instincts mauvais, / l’œil à 360 degrés, / l’orgasme du larynx, / l’intelligence démocratique […]», c’est que «Les verbes majeurs nous obsèdent […] / naître, grandir, aimer, / penser, croire, mourir.»

Pierre Nepveu, Éditions du Noroît, 2009.

Poésie – Philippe More – Brouillons pour un siècle abstrait


On parle beaucoup de Philippe More ces temps-ci, en tout cas, cette semaine il a été le sujet de plusieurs de mes conversations. C’est qu’il est du nombre des finalistes pour le prix du gouverneur, grand cru 2009, dont les lauréats seront «dévoilés» le 17 novembre prochain.

Je m’essaie donc à un commentaire sur «Brouillons pour un siècle abstrait».

Ce recueil, où se jettent les grandes lignes d’un tracé, un brouillon, une esquisse sur laquelle un échafaudage étaie un monde, est un univers vu à travers le temps, à travers le dérèglement de nos corps à leur dernier instant, ou à travers leur construction au premier instant. Une réflexion sur l’humanité «cyclique» dont la période dure un siècle abstrait. Les principaux matériaux d’étayage inventoriés sont le temps, la pathologie, la religion, la musique et, surtout, le corps humain jusque dans ses composantes moléculaires: atomiques, anatomiques. Le support est le poème qui, s’attaquant à l’immensité, reste brouillon, un brouillon qui devra être complété et mis au propre s’il n’est pas froissé auparavant et à recommencer…

Quand le temps du bilan est venu, la maison sacrée (le corps) est en lambeau et elle ajoute au cycle des siècles une histoire qui ressemble à celle même à laquelle on l’ajoute: «l’espace entre les molécules devient trop grand / pour que le monde n’existe pas un peu / dans la poussière qui s’ajoute à la préhistoire» et, quand on en fait l’examen: «nous n’avons rien appris hier / pas même à persister comme une musique infirme». Plus loin on comprendra que «l’humanité est affaire classée / c’est aux annexes qu’aujourd’hui on est rendu / hier […]». Un cycle où «le monde est soumis / à cette science du bégaiement». Un bégaiement qui se fait insistant, une parole qui s’exprime à tous instants. Explorons-en quelques-uns:

L’instant de cette poésie est celui de la fracture entre l’ossature du corps et la charpente de l’âme, après le dernier instant, avant le bilan: «va savoir ce que l’autopsie te réserve / comme derniers détails humains / avant l’écoute posthume de tous tes soliloques».

De plus, l’instant de cette poésie est la soudure entre la charpente de l’âme et l’ossature du corps, avant le premier instant: «[…] les restes sous-marins du désir / tes rêves méthodiques / gaspillés à feindre la noyade // […] // «parmi les restes amniotiques de ton univers / […] / avec une précision amoureuse».

Mais, l’instant de cette poésie, c’est aussi «Le mal des caissons» où «[…] la mer / devient […] le tout premier symptôme / d’un paysage qui se retire sous ta peau». On «appelle cela vieillir». C’est aussi celui qui s’installe dans une «apoptose», au moment de la fécondation, où «[…] l’odeur des sargasses / […] accompagne […] la mort / dans la blancheur des chromosomes».

Le temps dans son parallélisme cyclique est le «[…] siècle lui-même [qui,] en passant / n’aura laissé que ses entractes». Mais où se cache le temps quand «la fin du monde est un anachronisme»?

Oui, le temps, est une composante maîtresse dans la morphologie poétique de Philippe More, il se fait métronome de nos douleurs et de notre raison d’être: « […] tous les livres se referment / par l’habitude immémoriale […] / […] les lettres / écrites dans les recoins après la fin du monde / n’ont pas de destinataire».

Quelle est donc la quête du poète? N’existe-t-il pas une interrogation profonde? Ne peut-on pas la traduire en une question comme: qu’a la science du corps à offrir à l’avenir de l’humanité? quelle est donc l’importance et la valeur de cette humanité face au vide, face au tout, face à elle-même? Il y a opposition, voire même confrontation entre les réponses que la science peut apporter aux problèmes humains et les vrais problèmes qui, eux, ne sont peut-être pas du tout physiques, ni même palpables, voire visibles pour la science. Quel est donc ce vide? N’est-ce pas là la vraie question?

En plus des visions «cogitées», Philippe More nous peint de belles images: «tu as toujours une île d’avance / sur l’évaporation»; «quand le sang arrêté / donne à l’apesanteur un fantôme de plus»; «[…] c’est sur la langue que la brûlure de l’encre / prend d’un seul coup la place des mots»; «[…] le plus petit paysage / dont le lac est la mémoire immobile».

La présence de la religion, de la mythologie et d’un brin de métaphysique peignent les tableaux de Philippe More d’une manière sensible, très visible, quasi obsédante: «brûlure d’apôtre douleur d’extrême icône / […] / en annexe illisible des prières disloquées»; comme l’échec d’une adjuration qui venait de la source de la vie: «la mer est une excuse bruyante / pour couper court à la prière: pour perdre la voix», le cadastre de la vie est «la douloureuse sainteté» . On y retrouve le «purgatoire» dans plusieurs de ses poèmes, sans doute pour exprimer la douleur d’une question demeurée sans réponse, un purgatoire comme un vide entre deux instants, entre deux siècles abstraits, suspendus. Une réponse vient, peut-être, avec une possible réincarnation: «on s’habille comme on se quitte soi-même / comme on s’enrôle corps après corps».

D’un autre côté, celui des émotions, la musique, meuble du temps dans toute sa science, confirme sa présence sous différentes évocations, comme par exemple: le compositeur Bach; les termes musicaux concerto, sonate, adagio, baroque; le violon; et, dans sa substantifique moelle: le temps; qu’elle décore, et à quoi elle donne un sens. La musique meuble l’espace temps dans toute sa métrique.

Mais, au bout du compte, nous sommes en danger de nous perdre dans ce «Concerto pour disparaître» et dans cette «Réciproque» où le «je» se tutoie comme il le ferait pour «le moindre figurant froissé / dans les brouillons d’un siècle abstrait».

Philippe More, Poètes de Brousse, 2009

Musique - Sylvie Paquette – Les valises – à l’Excentris

J’étais au chic Excentris ce mercredi 29 octobre 2009. Hormis l’allure surréaliste de la billetterie que j’ai mis du temps à trouver, et à laquelle, par la suite, j’ai pris du temps à m’habituer, cet endroit est vraiment merveilleux.

En fait, pour être plus précis, il m’apparaissait difficile de décider si j’étais charmé ou gêné par l’effet que produit sur nous ce guichetier: j’avais l’impression de communiquer avec une vitre d’écran d’ordinateur au travers duquel un être virtuel, enchâssé dans un hublot d’un quelconque vaisseau spatial du temps de Jules Verne, m’interrogeait alors que je me questionnais sur la véracité de son existence même. L’âme humaine avait-elle été pulvérisée? puis injectée dans un processeur?!

Bon, rien ne presse; mais, heureusement, j’ai survécu, et j’ai récupéré mon billet sans problème, en toute sécurité, sans courir le risque de contracter un quelconque virus.

Fellini sera la salle de concert, habillée de tables carrées style cabaret et de fauteuils sobres style salon, bien rembourrés. Elle offre une ambiance petit café de luxe sans cette barrière désagréable qu’inspire le véritable luxe. Cela en fait probablement une des salles les plus confortables et les plus sympathiques qui existent.

J’y étais avec ma «valise», qui contenait des attentes, des envies de décollage, comme pour partir en voyage avec Sylvie Paquette qui, elle, avait plus de valises que moi, ce qui est tout à fait normal, elle en a beaucoup à raconter à tous et à chacun; et, surtout, c’est le thème de son tout nouveau spectacle, qu’elle donne en solo.

En effet, «Les valises», même si cela nous rappelle la chanson de même titre qu’on peut entendre sur l’album Tam-Tam, est le thème pour la soirée. Il se dessine dans un décor de style théâtre, élaboré à partir de vraies valises de toutes sortes, placées çà et là sur la scène, et dont le contenu se révèle à nous en tranches de vie faites de chansons de toutes les époques de la vie de l’artiste. Un instant suspendu emballé de chansons pour tout bagage, pour s’envoler vers toutes les destinations. Une belle rétrospective condensée en un peu plus de deux heures et demie et où tout tourne autour de l’amour, du désir et de la poésie.

J’ai d’ailleurs été étonné d’apprendre qu’elle avait accumulé plus d’années de chanson que l’âge que je lui prêtais. C’est sûrement que le temps s’est arrêté pour elle. Tout compte fait, nous avons voyagé ce temps qu’elle a parcouru, pour ce bon moment où nous avons eu bien du plaisir à la redécouvrir. J’aurai loisir d’explorer son univers comme bon me semble puisque je me suis procuré un exemplaire de son album «Souvenirs de trois» (2001) que l’on peut acheter seulement lors des concerts, on peut y trouver l’album Tam-Tam, également.

Pour cette série de spectacles, la chanteuse se produit seule avec sa guitare, qu’elle fait résonner admirablement bien. Je connais peu de chansonniers, de n’importe quelle époque, qui en joue d’une manière aussi élaborée. Ses arrangements, ses harmonies et son jeu sont recherchés, une vraie guitariste digne de ce nom, aucun doute là-dessus.

C’est vrai! j’ai écrit «chansonnier», simplement parce que l’atmosphère de la salle, et la façon dont la chanteuse évoluait sur scène, faisait de telle sorte que je me projetais dans l’ambiance des boîtes à chanson de mes jeunes années, filets de pêche en moins, où les soirées se déroulaient à la bonne franquette, où on se retrouvait intimement «connecté» aux artistes. Même les petits problèmes techniques, ou de toutes autres sortes, devenaient une occasion pour l’artiste d’interagir avec les spectateurs et de rire de bon cœur. Sylvie Paquette a un sens de l’humour beau et sincère.

De plus, non seulement elle excelle à la guitare, mais elle se montre très créative avec ses «boîtes à pitons» (échantillonneur et autres effets) qui lui permettent de créer un assemblage simulant plusieurs guitares jouant en même temps. Un orchestre virtuel qu’elle construit au fur et à mesure qu’elle chante. À certains moments, c’est vraiment impressionnant, on ne croit plus qu’il n’y a qu’une seule personne sur la scène.

Et, définitivement, ce qui me fait tomber sous le charme le plus hypnotisant, c’est sa très belle voix, ses très intelligentes et sensibles mélodies qui se collent aux textes, comme si l’une était issue de l’autre, devenues indissociables.

Sylvie Paquette projette cette aura magique qui nous entraîne dans un espace où le temps n’existe plus et où les valises peuvent contenir beaucoup plus que leur volume apparent.

www.myspace.com/sylviepaquette

Poésie – Julienne Salvat – Fractiles

Julienne Salvat, poète, née en Martinique à Fort-de-France en 1932, était à Trois-Rivières cette année pour le 25e festival international de la poésie.

Lors d’une lecture, qu’elle a donnée dans le cadre du festival, dans l’une de ces belles maisons de thé du vieux Trois-Rivières, elle nous a charmés avec sa poésie.

D’emblée, ce que l’on remarque dans ses poèmes, c’est définitivement le rythme, auquel s’ajoute une musique qui secoue avec toutes ses belles résonances syllabiques; c’est suffisamment évident à mon oreille pour que certains poèmes, aidé de surcroît par la répétition, m’inspirent directement un chant, une chanson, comme, par exemple, dans «Agitation mondaine»: «Je vous présente / notre naturel chassé au galop / - enchanté // Je vous présente / notre esprit frappé d’un savoir / orange amèrement oppresseur / - enchanté // […] // Je vous présente mon cœur / ballotté entre flux du bercail / et reflux des funérailles / - enchanté», ainsi de suite pour 19 (faux) enchantements et un désenchantement: «À votre tour / ne me présentez pas / je ne suis pas enchanté.»

Il y a aussi des jeux de mots délicieux à découvrir, comme dans «Signalisation déroute»: «Chutes de paupières / Fausset rétréci voix unique / Sable émouvant», une bonne dose d’humour, certes, mais toujours bâti sur des tonalités et une rythmique singulière, entraînante, parfois syncopée, d’autres fois «jazzée», mais toujours le tempo vient se planter fermement dans le sol, comme pour cette «Danse d’amours métisses»: «À coups de talons le sol / pour un flamenco cimarron», où les mots «coups» et «sol» marquent des temps forts, et le verset suivant s’élance en fuyant, comme une belle gitane provocante. Une adroite façon de représenter musicalement ce que les mots disent, d’un même jet.

Nous trouvons de tout dans cette poésie: un peu de sorcellerie, d’abord dans les mots savoureux comme «quimboise» et «quimboiserie», de même dans certaines images évocatrices, par exemple: «Puis il fait semblant de se rendormir / son style bambou lui caresse / les lignes de la main». Et, de page en page, tout au long du recueil, on découvre par-ci, par-là de la joie, de la tristesse, de la rage, de l’esprit, voire même une pointe de sarcasme quelquefois, causé par une douleur, un désir de vengeance, peut-être. Une très belle diversité d’émotions.

Il y a aussi des mots recherchés et bien choisis dans la poésie de Julienne Salvat: «vos mots veulent-ils épicènes / dire nue oiseau fané», ou «vie qui brûle à l’ausculter / des épigés des étisies / des quimboiseries tgv». Toujours ils s’agencent harmonieusement, autant dans leur sonorité que dans leur sens.

À la fin du recueil on trouve un petit lexique qui définit les régionalismes utilisés dans les poèmes, c’est là qu’on apprend que «quimboiserie» veut dire sorcellerie, magie; que «cimarron» signifie nègre marron, esclave en fuite; que «bête-longue» représente un serpent et que «épinies» désigne toutes sortes d’arbres et arbustes épineux.

Un beau recueil qui séduit et surprend autant par sa beauté que par son intelligence.

Julienne Salvat – Fractiles – Éditions UDIR, 2001.

Poésie – Joséphine Bacon – Bâtons à message Tshissinuashitakana

Je me suis réveillé ce matin avec un coup de bâton dans la tête, dans mes rêves. Au bout de ce bâton, il y avait un message percutant. Je crois l’avoir compris, maintenant, dans ma tête de pioche!

J’étais certain d’avoir écrit mes impressions sur le recueil de Joséphine Bacon «Bâtons à message», mais après avoir parcouru mes articles, je me rends compte que je mériterais un autre coup de bâton.

Ce rêve a sûrement été déclenché par le fait que j’ai vu, hier, l’annonce de la présence de Joséphine Bacon le 4 novembre prochain à la librairie Olivieri, sur Côte-des-Neiges. La voix des songes est impénétrable…

Bon, commençons, qu’est-ce que des bâtons à message? Simple! C’est un point de repère, un message visuel que l’on dispose au bord du chemin pour indiquer aux autres nomades l’état de la situation. Par exemple, on utilise deux morceaux de bois en épinette blanche, on en place un penché très près du sol qu’on appuiera contre l’autre placé verticalement, ainsi nous obtiendrons un message, qui signifie: famine.

Recommençons: qu’est-ce que des bâtons à message? Pas facile du tout! Parce que c’est ce recueil, précisément; et il est fait de tranches de papier d’épinette très minces, posé bien à plat sur ma table de travail. Plus penché que ça, c’est impossible. Il signifie: détresse.

Dès l’introduction, la poétesse nous lance «Mon peuple est rare, mon peuple est précieux comme un poème sans écriture.» Qu’est-ce qu’un poème sans écriture? N’est-ce pas une mémoire sans ses traces, comme celles que nous laissons dans la neige et qui disparaissent au printemps? Aucune trace! Sûrement parce que l’écriture était verbe et que les voix disparaissent avec le temps. Où sont donc les voix et leurs mémoires? Ne les retrouverions-nous pas chez les Innus, où sont-ils? «Je ne te vois plus / sur ta terre, / je ne t’entends plus / quand tu rêves // j’ai perdu tes traces.»

Et, la détresse appartient à ceux qui restent, ils sont dispersés, laissés sans voix: «Silence // Je suis adoptée. / Je suis maltraitée. / Je suis orpheline.» Une profonde tristesse, comme un cri étouffé par les émotions qui accablent. Vivre l’exil chez soi, une fuite impossible, un repliement sur soi-même: «Ma douleur, / devenue remord, / est le long châtiment / qui courbe mon dos.»

Le poème est amérindien, il est né de sa terre, il vit des éléments de la nature. Il prend des allures bibliques par moment, le testament d’origine, celui d’avant l’écriture. Et, on y chante la vie, l’exode (vers nulle part), la souffrance d’un peuple et sa mort lente. Pourtant, dans l’âme du peuple Innu il y a une mémoire qui sait encore la nature, qui sait encore les sons importants: «Ils marchent / sans courbure, / attentifs / aux sons de la neige / sous la raquette», une mémoire qui connaît ses propres origines: «[…] pense à ton âme / elle t’a donné la source / avant la naissance.» Mais, aujourd’hui, qu’en reste-t-il? «Dis-moi aujourd’hui / où je dois aller / afin de retrouver / le sentier / des anciens.»

Je pourrais continuer comme cela, à paraphraser le livre de bout en bout, prendre les vers dans le désordre, les lire à l’envers, je sens que je pourrais écrire mille pages autour des mots de Joséphine Bacon. Chacun de ses mots projette mille images, chacune de ces images dessine un bâton, et les bâtons vibrent d’un message émouvant qui bataille pour la survie: «Mon rêve ressemble / à une paix / qui se bat / pour sa tranquillité.» et «Dans mon sommeil, / mes rêves me rappellent / qui je suis».

Oui, je me suis réveillé ce matin avec un rêve dans les mains.

Le recueil contient les poèmes dans les deux langues: Français à gauche, Innu à droite. Aussi, un des poèmes s’appuie sur une dédicace: «Chloé mak Gilles umenu».

Joséphine Bacon, Bâtons à message – Tshissinuashitakana, Éditions Mémoire d’encrier, 2009.

Poésie – Hughes Corriveau – Le livre des absents


Ma première expérience «Corriveau», malgré le fait que l’auteur publie depuis de nombreuses années. Il n’y a rien de parfait en ce monde ! Moi qui ai lu nombre de livres en 15 langues différentes: COBOL, RPG, C, C++, Ada, Haskel, VB, Java, C sharp, Prolog, PL, SQL, ASP, PHP, Assembleur, et même plus, finalement. Dieu merci j’ai tout oublié. La langue des poètes est la seule vraie langue, pour moi, maintenant.

Le nouveau recueil de Corriveau («Le livre des absents») est divisé en quatre sections, quatre livres. Autant de façon de voir l’absence: l’absence dans l’amitié et l’amour, l’absence dans nos souvenirs, l’absence dans la société et l’absence dans sa propre intimité d’être solitaire. Du moins, vu à vol d’oiseau, et d’une première lecture, c’est ce que je retiens: «‘Nous avons le bonheur bruyant.’ / Je retiens l’essentiel: ‘Nous avons le bonheur’» et «‘Ce n’est plus possible de toujours être bien.’ / Et accablé par l’évidence de l’eau, je retiens: ‘Ce n’est pas possible de toujours être’.»

Le dénominateur commun de toutes ses facettes de l’absence, le fil conducteur du recueil, celui qui m’a «pendu à son bout», est la découverte du mouvement de l’absence, ce mouvement qui évoque la fuite constante de ce que nous désirons, de ceux que nous aimons ou aimerions. L’absence existe parce que tout ce que nous attendons ne vient pas. Ceux que nous attendons n’entendent pas l’appel: «Je prends le combiné et je parle, je parle. / Ils ne sont plus que grésillement sonore. / Je suis, au bout du fil, un pendu.» Non seulement personne ne vient, mais tout fuit, et notre vie perd son sens. Être seul n’est-ce pas marcher vers la mort? «On finit toujours avec sa gueule» comme chante Ferland.

J’ai trouvé aussi, à ma plus grande joie, quelques clins d’œil à Émile Nelligan dans la poésie de Corriveau. Que ce soit dans la façon de s’exprimer: «Où s’en sont allées les cloches? », ou carrément en se référant à la poésie même de Nelligan: «L’idiote aux cloches est passée devant ma fenêtre». Même si les vers sont libres, sans métriques standards ni rimes, chacun des poèmes coule en belles sonorités en suivant des rythmes harmonieux, musicaux et sans trop de ruptures.

Le plus étonnant, et peut-être aussi le plus déroutant des aspects de la poésie de l’auteur est l’ambiguïté des sexes: d’une part il nous lance: «Derrière la porte, elle n’est pas là, / à Paris pour un temps, l’amoureuse / ailleurs pour m’égarer dans l’imaginaire.» et puis plus loin: «le frère aîné aussi, l’amie au sein froid, / la belle de Paris, celui de la mer pas si lointaine.» et plus loin encore: «tu es arrivé enfin de la mer, Toi, le dérouté. / tu me redonnes tes montagnes alpestres, / tes érections sans fin, ton crâne de mourante […]» Néanmoins, reste que la solitude, tels les anges, n’a pas de sexe.

Ce recueil, dans sa forme bien orchestrée, m’a apporté une vision nouvelle de la solitude, de l’absence. Elle est absence dans le mouvement contraire des aiguilles de notre horloge du désir, l’«antigravité», celle où tout s’éloigne de nous inévitablement: «J’ai tendu le poing pour qu’une mésange s’y pose. / Le vide entier s’est lové entre mes doigts.»

Hughes Corriveau, Le livre des absents, Éditions du Noroît, 2009.

Poésie – Hélène Dorion – L’étreinte des vents

«L’étreinte des vents» est le titre du tout nouveau livre de Hélène Dorion, que j’ai vue et entendue à son lancement qui a eu lieu à la librairie Olivieri, sur Côte-des-Neiges, à Montréal, le mercredi 21 octobre 2009. Un lancement réussi, une librairie grouillante de monde, des places assises à oublier; la majorité devait déguster ce beau moment debout, mais sans longueur, sans fatigue, captivée.

Un moment exceptionnel, en tout cas pour moi, où Hélène Dorion nous a lu quelques extraits du livre alors que le son doux et mélancolique de l’alto venait à la fois colorer et interrompre, lier et rompre, comme on tourne la page à la fin d’un chapitre, les pauses entre deux lectures, des intermèdes gracieux de musiques classiques de différentes époques et expressions, admirablement bien interprétées.

À la première lecture du livre on hésite: est-ce un roman, un essaie, de la poésie? nous nous interrogeons sur la catégorie où placer cette œuvre, comment la classer? Et puis, un peu comme une révélation, on s’aperçoit que c’est tout cela en même temps.

Cette œuvre ressemble à un roman par son écriture, tout en prose, par sa petite histoire inscrite à l’arrière-plan du tableau: un voyage, un vol d’avion, le survol des îles, des îles en chapelet, vues d’en haut; puis la vie sur l’île, les vents, les moments à l’observer, les tempêtes, le calme, la nature; et, enfin, le retour, le recommencement.

Aussi, elle ressemble à un essai par la méditation, la recherche, la quête de l’auteure qui veut des réponses aux grandes questions des liens amoureux et de leurs ruptures inévitables. En effet, d’une façon ou d’une autre les liens se brisent, que ce soit par la mort ou par le départ: «Le ciel s’assombrit brusquement. Le soleil ne se lève plus, pas davantage il ne se couche. Tout, […], est devenu plat, s’est immobilisé.»

Et, malgré la forme, malgré les phrases simples et sobres, elle ressemble à un long poème, principalement parce que les images se superposent, constamment, et que le rythme est éloquent, il suit les vagues de la mer, il suit aussi le contexte avec ces liens et ses ruptures. Elle est poème aussi parce qu’il est quasiment impossible de mettre le doigt sur les personnages, tout passe par la voix du poète qui nous greffe à ses yeux et qui nous fait voir ainsi autant son intérieur que sa perception presque onirique du monde extérieur. Nous sommes, nous lecteurs, en même temps témoins et actants à travers les yeux de la narratrice.

La clé de «L’étreinte des vents», telle que je la ressens, est la «solitude», une grande fresque où Hélène Dorion démontre, par sa propre expérience, ses propres sentiments, que la vie cherche, ou plutôt qu’elle nous force, à créer des liens («Nous sommes porteurs d’un désir de sens qui est lui-même tributaire de notre capacité à recueillir – et à créer – des liens»). À n’en pas douter, dès la naissance nous recherchons le lien qui vient de se briser, le lien de la mère et de l’enfant. Et, inévitablement, la vie, synonyme de lien, nous confronte à la rupture, continuellement, à répétition, de chacun des liens que nous tissons. Jusqu’à ce que, à notre tour, rompions tous les liens qui se sont tissé à nous.

J’ai aimé ce livre, comme probablement beaucoup d’autres l’aimeront, parce qu’il explore le «mouvement» dans la vie humaine, un mouvement qui est aussi une de ses facettes fondamentales, car il trace le schéma de ce «quelque chose» qui hante et qui bouscule tous et chacun, comme les vagues de l’océan qui viennent ébranler l’île, puis se rompent en s’en éloignant; et qui reviennent de nouveau irrépressiblement. L’île, son isolement, sa solitude; mais, aussi, son héroïsme!

Hélène Dorion a très bien disséqué ce mariage lien-rupture dans tout son cycle de vie, à partir du moment précis de la présence de la rupture même: «Désormais il y a un ‘monde d’avant’, et un ‘monde d’après’…»

Poésie – Hossein Sharang – Livre Sauvage


Les dernières semaines m’auront vu glisser de la musique à la poésie, tout en douceur. J’ai assisté aux lancements de nouveaux grands crus célébrés par quelques maisons d’éditions. Je compte donc me faire l’apôtre de mes coups de cœur, au fur et à mesure de mes lectures.

Aujourd’hui, je veux parler de Hossein Sharang, poète iranien adopté par le Canada en 1982.

Les Éditions du Noroît viennent de lancer son nouveau recueil: «Livre Sauvage». Les poèmes sont traduits du Persan par Houman Zolfaghari, sauf ceux que Hossein Sharang a composés directement en français. La magnifique couverture présente un fragment d’une œuvre intitulée «Hasard nocturne» faite par Khosro Berahmandi. Déjà, sur l’étagère, le livre est simplement beau. Il nous regarde, intrigué, il nous interroge, tel un animal sauvage. Il sera difficile de lui résister, de lui échapper.

La poésie de Hossein Sharang nous renvoie au commencement de nous, aux dieux, aux déesses, à la beauté du «sauvage» justement, à l’humain animal, intelligent et sensible. Sur un pied d’égalité, voire même en harmonie avec le lion, le corbeau, le serpent et nombre d’autres animaux, l’homme et l’animal fusionnés: «un oiseau invisible / construit son nid dans mon visage / il bat des ailes dans mes paupières / je bats des paupières dans ses ailes».

Le chant du président Sharang, tel qu’il se proclame, clame aussi des plaintes poignantes: «Tant de gens sont morts / que je suis devenu cimetière». On observe ici de quelle façon le poète pénètre dans les émotions et les souffrances humaines, en les faisant siennes, en s’y noyant; il s’y fond, littéralement. Il explore la brutalité aussi: «coup de sabot du zèbre / à la mâchoire du lion / jet de sang, salive et dents / de la gueule défoncée».

Ainsi en est-il du début à la fin du recueil, à travers les mots et leurs images, le poète incarne, à la manière des grands sorciers, des dieux, les éléments «sauvages» de la vie et de nos émotions. Il le fait d’une manière toujours nouvelle et surprenante, en nous projetant des visions percutantes. Et, il établit ses frontières diaphanes, sans limites aucune, il est le président de la République sauvage du Sharanguestan!

En d’autres moments, son univers intérieur, qu’il matérialise par son écriture, crée un monde énigmatique: «pour écrire la fourmi / il faut des feuilles de soixante-dix automnes / un chant de roseaux intemporels / une mer d’encre de Chine / et un poète contagieux / de la race des fourmis». Et, la Terre devient «[…] la grande roue verte / autour du soleil».

Malheureusement, ce livre n’offre pas la version en Perse des poèmes, ce qui est dommage car, pour avoir entendu et vu Hossein Sharang sur quelques bouts de films, je sais qu’il aurait été magique de l’entendre lire ses vers dans sa langue, car ce poète possède en plus un charisme théâtral. Il semble faire appel à une rhétorique qui nous lie aux origines de l’humanité, à la nature sauvage. Sa langue nous secoue de l’esprit au cœur, jusque dans la coquille même de nos chromosomes, tellement elle vient de loin dans le temps. De plus le Perse, comme l’Arabe, possède une calligraphie toute belle et mystérieuse.

Ce poète est un des plus chaleureux et sympathiques qui soit. Lui qui, lors du lancement de son livre au centre culturel du Plateau Mont-Royal, a dit «bonjour» en langue sauvage à tout le monde, en imitant le rugissement du lion.

Pour ceux qui aiment la poésie à la grandeur de ses déesses, ce poète est à lire, à voir et à entendre: «Il était de vertige / celui qui a dit / qu’avec deux autres pieds / je serais devenu une roue».


http://www.youtube.com/watch?v=Mdqp9Ur9hvI&feature=player_embedded

Musique - Éclectique (Lipsky, Herskowitz, Sidorov, Martel, Young) - 17 octobre 2009


Le samedi 17 octobre 2009 à la Salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal a eu lieu un autre magnifique concert du quintette–1= quatuor Éclectique ! Moins un, parce que Karen Young était absente à cause d’une extinction de voix, possiblement victime d’une vilaine grippe.


Je risque de me répéter si je parle de l’excellence de ces musiciens qui, encore une fois, nous ont séduits et impressionnés. Mais, cette fois, il y avait deux éléments de plus pour nous les faire apprécier davantage:

Premièrement, ils ont joué dans la toute nouvelle salle de concert du Conservatoire de musique de Montréal. Une très belle salle de 225 places peinte dans les tons de jaune paille ou jaune canari, couleur qui surprend un peu au premier coup d’œil, parce qu’inhabituel, mais on s’y laisse envelopper et séduire, nous nous y sentons biens et relaxés dans ses sièges spacieux et très confortables, ce qui risque de rendre les autres salles de concert jalouses. De plus, son acoustique est excellente, une salle qui peut accueillir des concerts, des pièces de théâtres et tous autres événements artistiques et de communications.

Deuxièmement, parce que la salle possède une acoustique exceptionnelle, les musiciens ont joué sans fils, sans micros, sans haut-parleurs; que l’acoustique des instruments eux-mêmes, et par conséquent aucune distorsion, aucune perte de ton, de nuance, de timbre, seulement le charme des instruments avec leur robe sonore naturelle. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu une contrebasse vibrer aussi bien que lors de ce concert, elle offrait des sonorités pleines et riches qui lui ont redonné ces couleurs mélodiques et harmoniques en plus de ces accents rythmiques et percutants. Il n’existe aucune autre «haute-fidélité» ailleurs que dans ces concerts purement et vraiment acoustique.

Lors de ce concert, nous avons redécouvert les pièces connus du répertoire de ce groupe où se mêlent les parfums de tango, les voluptés latines, les passions gitanes, les charmes japonais et les diableries du jazz.

Plus nous voyons et écoutons les Lipsky, Herskowitz, Sidorov et Martel (et Young), plus nous nous enrichissons à connaître la musique par la voix de ses messagers virtuoses, où les messages sont remplis de sensibilité et de beauté et où l’expression dépasse les techniques les plus ardues des moyens qu’offrent les instruments.

La soirée des sans-abri

Je reviens d’un petit deux heures de modeste participation à l’événement «La 20e nuit des sans-abri à Montréal», près du métro Beaudry, dans ce qui semblait être une cour d’école, sur un terrain asphalté que la géométrie plane ne connaît pas. Les dénivellations inattendues me faisaient perdre l’équilibre et me donnaient l’air de tituber. Pensait-on que j’avais bu? En suis-je inquiet?


Présentement, mes doigts gelés obligent les mots à s’imprimer moins vite que d’habitude sur l’écran d’ordinateur. Le fait d’avoir passé quelques instants loin de mon abri habituel me déstabilise, je suis sorti de ma zone de confort, et je perds mes moyens. Comment m’en sortir?

Premièrement, je suis revenu chez moi; Et, deuxièmement, je suis en train de me réchauffer tranquillement. J’en ai pour une trentaine de minutes environ. Mais, combien de temps cela me prendrait-il si j’étais resté quelques années dans la rue? Comment pourrais-je m’aider à retrouver mon confort alors que les moindres moyens seraient hors de prix? Le problème n’est pas seulement mathématique, c’est-à-dire qu’il n’est pas du tout simple à résoudre. Le calcul des trajectoires des objets dans l’espace nous apparaît beaucoup plus facile en comparaison.

Aussi: «lève-toi et marche!» fonctionne en autant que nos membres ne sont pas gelés, et que le terrain ne ressemble pas à un jeu d’adresse pour acrobate! N’y a-t-il pas là de quoi réfléchir?…

Qu’est-ce qu’un abri? Là est la question! Un abri n’est pas nécessairement une maison pour le corps, c’est aussi un espace vital pour l’âme, une maison intérieure…

Cet événement modeste a attiré quelques centaines de personnes, dont le maire Tremblay qui y est resté quelques minutes, il est venu faire une visite de paroisse, comme on le disait dans le bon vieux temps. Ce bon vieux temps où les «quêteux» demandaient la charité pour «l’amour du bon Dieu»; d’ailleurs, si la phrase était bien dite, ils pouvaient obtenir un gîte pour la nuit et un repas, sinon les hôtes risquaient l’enfer. Une charité forcée…

Bon, au moins le maire a fait sa tournée, il a également écouté religieusement le poète Yvon Jean, un poète qui connaît le nom des rues, un gars qui a vaincu la rue et ses embouteillages, ses néons crus et ses odeurs de bière. Mais, maintenant, il est sorti du trafic, il s’est «dénelliganisé» comme il le crie. Il s’est aussi exclamé avec des mots qui roulaient comme des pierres sur l’asphalte qui écorche vif ceux qui s’y abandonnent. Beaucoup d’émotion, la poésie dans sa beauté chante sans préjugé, peu importe les mots, les messages, quand elle vient du cœur elle frappe, elle crée un éveil, l’éveil de l’humain dont l’âme se retrouve souvent, dans sa solitude, dans son malheur d’humain, sans abri. Encore: qu’est-ce qu’un abri?

On y a vu également quelques bouts de films, quelques poètes du «rap», je me souviens de Clermont, Le Belge, les danseuses «gumboots», les autres poètes du «slam» (aucune idée de l’orthographe des noms, par contre), aussi les excellents animateurs de la soirée, le gars, la fille: des gens de cœur, des gens qui crient à la société qu’ils existent et que tous sans exception ont droit à la plus simple des choses que la vie doit nous transmettre dès la naissance, ce qu’on appelle un «abri». Qu’est-ce qu’un abri?