Poésie – Hughes Corriveau – Le livre des absents


Ma première expérience «Corriveau», malgré le fait que l’auteur publie depuis de nombreuses années. Il n’y a rien de parfait en ce monde ! Moi qui ai lu nombre de livres en 15 langues différentes: COBOL, RPG, C, C++, Ada, Haskel, VB, Java, C sharp, Prolog, PL, SQL, ASP, PHP, Assembleur, et même plus, finalement. Dieu merci j’ai tout oublié. La langue des poètes est la seule vraie langue, pour moi, maintenant.

Le nouveau recueil de Corriveau («Le livre des absents») est divisé en quatre sections, quatre livres. Autant de façon de voir l’absence: l’absence dans l’amitié et l’amour, l’absence dans nos souvenirs, l’absence dans la société et l’absence dans sa propre intimité d’être solitaire. Du moins, vu à vol d’oiseau, et d’une première lecture, c’est ce que je retiens: «‘Nous avons le bonheur bruyant.’ / Je retiens l’essentiel: ‘Nous avons le bonheur’» et «‘Ce n’est plus possible de toujours être bien.’ / Et accablé par l’évidence de l’eau, je retiens: ‘Ce n’est pas possible de toujours être’.»

Le dénominateur commun de toutes ses facettes de l’absence, le fil conducteur du recueil, celui qui m’a «pendu à son bout», est la découverte du mouvement de l’absence, ce mouvement qui évoque la fuite constante de ce que nous désirons, de ceux que nous aimons ou aimerions. L’absence existe parce que tout ce que nous attendons ne vient pas. Ceux que nous attendons n’entendent pas l’appel: «Je prends le combiné et je parle, je parle. / Ils ne sont plus que grésillement sonore. / Je suis, au bout du fil, un pendu.» Non seulement personne ne vient, mais tout fuit, et notre vie perd son sens. Être seul n’est-ce pas marcher vers la mort? «On finit toujours avec sa gueule» comme chante Ferland.

J’ai trouvé aussi, à ma plus grande joie, quelques clins d’œil à Émile Nelligan dans la poésie de Corriveau. Que ce soit dans la façon de s’exprimer: «Où s’en sont allées les cloches? », ou carrément en se référant à la poésie même de Nelligan: «L’idiote aux cloches est passée devant ma fenêtre». Même si les vers sont libres, sans métriques standards ni rimes, chacun des poèmes coule en belles sonorités en suivant des rythmes harmonieux, musicaux et sans trop de ruptures.

Le plus étonnant, et peut-être aussi le plus déroutant des aspects de la poésie de l’auteur est l’ambiguïté des sexes: d’une part il nous lance: «Derrière la porte, elle n’est pas là, / à Paris pour un temps, l’amoureuse / ailleurs pour m’égarer dans l’imaginaire.» et puis plus loin: «le frère aîné aussi, l’amie au sein froid, / la belle de Paris, celui de la mer pas si lointaine.» et plus loin encore: «tu es arrivé enfin de la mer, Toi, le dérouté. / tu me redonnes tes montagnes alpestres, / tes érections sans fin, ton crâne de mourante […]» Néanmoins, reste que la solitude, tels les anges, n’a pas de sexe.

Ce recueil, dans sa forme bien orchestrée, m’a apporté une vision nouvelle de la solitude, de l’absence. Elle est absence dans le mouvement contraire des aiguilles de notre horloge du désir, l’«antigravité», celle où tout s’éloigne de nous inévitablement: «J’ai tendu le poing pour qu’une mésange s’y pose. / Le vide entier s’est lové entre mes doigts.»

Hughes Corriveau, Le livre des absents, Éditions du Noroît, 2009.

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