Poésie – Hélène Monette – Thérèse pour joie et orchestre

Je ne pouvais m’empêcher de partir à la découverte de celle qui s’est mérité le prix littéraire du gouverneur général 2009 dans la catégorie «Poésie».

Et quelle découverte!

Elle compense pour les deux lectures précédentes pour lesquelles je n’avais rien à dire, en panne d’écriture, possiblement. Malgré les apparences, où on ne me voit qu’écrire des éloges (ou presque), je suis extrêmement difficile dans mes lectures. Si je m’ennuie le temps d’un paragraphe, d’une page, c’est fini, je feuillette le livre jusqu’à ma libération.

Mais, en ce qui concerne Hélène Monette, musicienne des mots, je me suis laissé happer par les pages qui m’alimentaient en oxygène. Dans son dernier recueil, elle nous interprète «Thérèse pour joie et orchestre», une suite pour grand orchestre en cinq mouvements: Prélude, Fantaisies, Pastorale, Oratorio, Nocturnes et gospels. Ce recueil intégrera assurément ce petit coin spécial dans ma bibliothèque que je réserve aux œuvres à relire.

Il y a tant de choses ou d’angles sous lesquels nous pourrions «écouter» ce long poème, pour l’analyser, pour l’apprivoiser, voire même s’en accaparer, le faire sien pour toutes sortes de raisons, dont un moment vécu ou une Thérèse à nous, qu’il m’est difficile de choisir.

Commençons par le lexique. Le poète couvre un vaste terrain de jeu où la variété des teintes et des domaines est quasi encyclopédique. Tout y passe, les arbres, les animaux, les objets, la musique, le cinéma, etc. Les noms de personnes connues et des expressions populaires même: «Je me souviens de Hugues Aufray / chantant Céline, mieux que d’un Sibelius bleu ciel / ou d’un Beethoven […] / […], je me rappelle, Wagner était maudit / Berlioz entouré d’animaux et de fleurs / j’entends la voix de Gérard Philipe / et je vois les yeux tristes de ma sœur». Ou encore: «Bach est dans le coin / Ferland assis sur une chaise droite […] / et sa jeune tête de Brel […] / Nana Mouskouri dont c’est un jeu de dire / qu’elle ressemble à ma sœur Thérèse ». Des titres de films aussi: «de la boîte animée s’envole l’air du Docteur Jivago». Et des expressions tout en fantaisie: «inédite soupe au lait conciliante en diable»; «dépassé la clôture au muguet, au diable vert / dans le Champ»; parfois «un ange passe» et puis «fait que là ‘a dit… pis lui ‘i dit…». Tout ça utilisé avec bon goût, sans exagération aucune, sans répétition, sans ressassement obsessionnel d’expressions de mêmes types. Un jeu d’équilibre fait de mélodies et de contrepoints.

Déjà, si le lexique offre une bonne base à la diversité, qui tient le lecteur rivé au texte, il y a aussi le rythme toujours soutenu, preste, qui nous tire comme une cascade pour nous boire tout entier: «parce que tu rimes avec amour / je lève les yeux pour te voir passer / tel un ange qui bat des ailes / dans ce qui se peut de lumière / au-delà du monde effondré» ou encore: «amah / mon amah / Pivoine de Chine du Nord / au Fleur de Pommier du Canada / qui protège des monstres / et de la retentissante solitude». Des élans variés, comme les mouvements de ces grandes symphonies classiques qui ne mourront jamais.

Mais qui est cette Thérèse? «Thérèse est ici, Thérèse est là». Thérèse est celle à qui et de qui la narratrice parle. Elle est sa sœur, elle est partout. En fait, tout gravite autour de Thérèse. Même si son nom varie dans le courant des mots qui s’agitent du début à la fin, c’est toujours vers elle que vont nos pensées: «Thérèse, ô Maître d’Humilité», elle prend vie par des qualificatifs, des caractéristiques, par des envolées. Elle est l’amie entre toutes: «une chance qu’il y a le pont Thérèse / pour tout traduire / le Vide, l’Aller et le Retour». Elle est unique, elle est présence.

Et, Thérèse incarne la musique même, dans des variations sur un thème: «Se terrer / Terreur / Se taire / Teresa se terre / […] / Thérèse Terrigène, Teresina Termite / Tergiversante Miss Terre […] / Terrier / Territoire / Terrible Terrestre / Teresa Ténèbres […]» et ainsi de suite comme pour faire le tour de toutes les dimensions possibles de cet être cher qu’une grande sœur représente. Ce passage n’est pas sans nous rappeler le poème de Rolland Giguère dans «Forêt vierge folle: Le temps de l’opaque». Des moments inoubliables, une musique écrite en mots de caresses, en peau de douceur.

En outre, au-delà des mots et de leurs textures, il y a les images: « les ballerines enfermées dans le salon / rêvaient sur la pointe des pieds / exaltées de Prokofiev». Nombre d’images peintes en milliers de tableaux déferlent sur cette grande banderole qu’est cet éloge à Thérèse, où on l’incarne dans toute sa grandeur et dans toute sa beauté.

Toutefois, où est-elle Thérèse? «(il y a un squelette dans la chambre des maîtres / et c’est Thérèse) // Tereza Trezor / avec les yeux brouillés de la mort, tu m’as saluée»

Thérèse est dans le chant de sa sœur, un poème de 153 pages où tout un univers «gambade» devant nos yeux. Elle est Thérèse dans notre souvenir, la «Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-éperdu», la «Thérèse de Lisieux comme une actrice». Elle est cette personne qu’on aimait, cette sœur comme une autre âme collée à la nôtre, une inséparable, une richesse inestimable qui reste là exposée en notre cœur.

Même si maintenant Thérèse est partie, et que nous la voyons dans ce dernier lit, nous savons que «Ce n’est pas un tombeau / c’est un coffre à bijoux ouvert».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire