Livre – Jean-François Poupart – Gallimard chez les nazis

Commençons par un «peut-être!». Peut-être que cet article sera le plus lu de ceux que j’ai écrits et que je n’écrirai. Un titre choc, un tir à bout portant en plein cœur de la mémoire humaine. Admettons-le, il y a quelque chose qui nous chiffonne, qui nous griffonne quand une image ou une réalité vient nous cogner le nez pour nous sortir de nos rêveries et nous vaporiser le dedans de doutes: suis-je né dans le bon camp?

Ah! L’élégance d’être nègre, le courage d’être juif! Brel en savait-il plus que tous les autres? Qui sait?

En attendant, revenons à ce petit livre, tout petit, il est le premier d’une nouvelle collection chez Poètes de Brousse nommé «Essai libre». La collection et le livre sont probablement tous les deux nés d’une exaspération de l’auteur face à une publicité de Gallimard qui aurait chanté haut la note dans le vent de la vantardise: «[…] rigueur intellectuelle et morale […]», autrement dit la maison d’édition aurait mené une vie centenaire vertueuse, frisant la sainteté. Mais, il fallait se souvenir, et faire attention aux grains de chapelet que furent chacune de ces années.

D’emblée, l’auteur y va d’une mitraille de phrases courtes et incisives pour nous bombarder de faits, voire même, peut-être, de révélations, toutes plus intrigantes les unes que les autres, toutes choquantes et fracassantes aussi; mais, possiblement, toutes aussi vraies que fausses selon le point de vue. Qui sait de quoi l’histoire est faite? De documents signés, de déclarations publiques, d’articles de journaux? De procès équitables? Non, laissez-moi rire un peu! Ce n’est pas d’aujourd’hui que la rhétorique est mathématiquement insoluble pour qui recherche la vérité pure. S’il vous plaît, lisons les journaux d’aujourd’hui. Il suffit d’élire un maire pour que tous les scandales s’effacent de la mémoire et des discussions!

La vraie histoire se vit au quotidien, l’actualité est bonne pour les amateurs de théâtre et, surtout, de comédie. Les crayons écrivent l’histoire, les humains la vivent. Au bout des crayons il y a des effaces, au bout des humains, la mort. Combien de morts, oui, presque un mort par vivant, si nous comptons ce qu’on appelle des survivants (traumatisés dans l’âme et oubliés, les estropiés, les éclopés, les déchirés, les non-comptés).

Toutefois, nous aurions beau accuser l’un, blâmer l’autre, fouiller dans l’âme de chacun, nous retrouverions, peut-être, que des coupables. Qui n’essaie pas de profiter des situations à son avantage? Qui ne se place pas du côté du plus fort? Faites vos jeux! Choisissez: Napoléon le Grand ou Napoléon le Petit? Je choisirais Hugo, et vive l’exil! Le pays des vrais poètes.

Le grand petit livre a le mérite d’être très bien écrit; et, par moment, j’aime les quelques passages où l’auteur place les choses en contexte: tiens donc, tel auteur a publié nombre d’ouvrages à telle époque, dans telle circonstance, pendant que tels autres furent tués, expatriés, exilés, disparus; et, puis, tels autres ont été graciés après la guerre, tandis que ces autres-là disparurent mystérieusement. J’imagine qu’il y a suffisamment de détails dans ces quelques pages pour permettre à quiconque d’approfondir un sujet ou l’autre en particulier, selon sa curiosité. Je serais tenté de vérifier quelques-unes de ces affirmations, car je soupçonne que certains faits ou relations amicales (ou autres) eurent lieu avant 1939, et qu’ils seraient cités ici hors contexte, mais bon, vérifions…

Le plus grand bienfait de ce livre est très certainement de nous forcer à l’examen de conscience. De mettre un point d’interrogation sur nos réponses aux questions fondamentales suivantes: qui sont les bons, qui sont les méchants?

Par contre, comme dans toute rhétorique, ce livre présente le défaut tout à fait «américain» de prétendre viser une guêpe alors qu’il tire sur toutes les ruches environnantes. Le titre vise Gallimard, mais les autres maisons d’édition françaises n’échappent pas au pilonnage intensif, que ce soit les Grasset, les Flammarion, les Fayard et tous les autres grands noms; nul n’est pur ni auréolé. Il aurait été plus singulier de rechercher qui n’a pas collaboré, mais le livre aurait été beaucoup trop petit, peut-être.

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