Spectacle FIJM – Karen Young, Éric Auclair DUO avec Bugge Wesseltoft – lundi 5 juillet 2010

J’avoue que pour moi commencer une semaine avec la voix de Karen Young a quelque chose de rafraichissant et d’apaisant. Lundi, à l’Astral, elle et Éric Auclair nous présentaient le fruit de leur nouveau projet. Un concert qui s’appuie sur leur album « Electro-Beatniks ».

Une musique plus qu’intéressante, « futuriste » me venait à l’esprit pour définir ce que je voyais et entendais, un terme pourtant complètement démodé. La musique est au trois quarts programmée, il y a avait beaucoup d’appareils à boutons sur scène et tous semblaient branchés à des ordinateurs portables. Une « pomme » pour Éric Auclair à la basse électrique et à la contrebasse et une autre pour les pianos que Bugge Wesseltoft ajoute à l’ensemble en tant qu’invité spécial. Son apport à la musique a plutôt été modeste, il s’est contenté la plupart du temps d’appuyer l’ambiance en tant que telle. Il a ouvert le bal de cette soirée avec une introduction de son cru. J’ai trouvé curieux qu’il jouait des fortissimos sur les notes aiguës à l’extrême droite du clavier, et des pianissimos sur les autres notes. Normalement, l’inverse sonne beaucoup mieux.

Quant à la musique de Auclair, elle se peint sur deux tableaux : l’un s’affiche électro percussif où toutes les saveurs électroniques s’inventent rythme et ambiance, ces éléments s’enrichissent de bandes préenregistrées de toutes sortes où sons et séquences musicales servent à appuyer le deuxième tableau, celui en avant-plan. Dans ce dernier, Auclair joue effectivement, c’est-à-dire physiquement et analogiquement, de la contrebasse ou de la basse électrique. Son jeu très chantant, mélodique à souhait, nous fait redécouvrir l’esthétique acoustique de ces instruments. C’est peut-être même la première fois que j’entends la contrebasse jouée en tant qu’instrument purement soliste et mélodique, en tous cas de cette façon. La base du rythme était assurée par la percussion électronique en arrière-plan, ce qui semblait soulager la contrebasse (ou la basse) de cette tâche. Auclair produit de longues notes précises bien rondes et qui résonnent avec une clarté franchement agréable. Il semble rechercher la pureté du son la meilleure pour son instrument, car son jeu est absent de décorations techniques et de vitesse d’exécution, il donne le temps à la grosse caisse de sa contrebasse de vibrer de toutes ses ondes.

Presque tous les textes des chansons sont de Karen Young. Sur l’album il y a 11 titres dont 9 sont d’elle; en concert je crois que le trio en a interprété un peu moins que la moitié. Ma préférée est « Mystic Sky », qui nous a été offerte à la toute fin, pour le rappel.

Karen Young reste toujours égale à elle-même. Une voix unique qui peut voyager dans tous les registres, une voix qui chante comme on parle, ou mieux : une parole qui s’exprime en chantant, capable de passer de la basse à l’aigu avec une grande aisance et de rire ou parler en chantant. La justesse des tons nous frappe également et fait office de signature, Karen Young a une empreinte vocale unique et facile à identifier.

Bien que j’aie beaucoup aimé, j’ai trouvé que l’Astral n’était pas l’endroit le meilleur pour une telle musique. L’ambiance souhaitée en serait plutôt une de recueillement, car se mêlent poésie chantée et musique d’ambiance; une musique subtile, douce, où cohabitent de nombreux silences et sons délicats. Ce qui rend désagréable d’entendre les « bips » des caisses enregistreuses du bar, et les cognements de verres, et les frottements de chaises sur le plancher, et les bavardages sporadiques… Tout bruit entrait en conflit avec ce qui se passait sur scène. Le Gesù aurait définitivement été l’endroit idéal pour ce concert.

Spectacle FIJM – Keith Jarrett, Gary Peacock & Jack DeJohnette – samedi 3 juillet 2010

Keith Jarrett, homme de suspense, supposé génie du piano, semble être le musicien jazz le plus craint que je connaisse. De tout côté, au moment de s’installer dans nos sièges, 15 minutes avant le concert, on se demande si celui-ci aura lieu. Apparemment, si quelqu’un tousse, ou si le piano n’est pas parfait, ou si le monsieur est de mauvaise humeur, ou si quelqu’un prend une photo pendant le spectacle (car il s’agit bien ici de spectacle), on pourrait bien tout annuler.

Heureusement, cela ne s’est pas produit et les trois musiciens ont très bien joué. Malheureusement, pour bon nombre de spectateurs de tous âges, le souvenir de cette soirée aura été terni par une mise en scène de Jarrett à la toute fin : alors que la foule demandait un rappel, il est revenu sur scène, a demandé aux deux autres musiciens de le rejoindre (seul DeJohnette est venu; Peacock, à son grand mérite, savait probablement la farce qui se tramait…), puis notre grand Seigneur du piano a pris le micro pour dire quelque chose qui devait sûrement être très important, il a d’ailleurs commencé par affirmer qu’il était le créateur d’une ambiance; mais, après quelques instants, prétextant que quelqu’un venait tout juste de prendre une photo, il nous dit qu’il n’en dira pas davantage. Les deux musiciens déguisés en clowns de cirque sont repartis dans leur cage.

Dommage, car la musique était au rendez-vous. Quoique je me demande si on devrait aduler Jarrett à ce point. Malgré qu’il soit excellent musicien, encore là, il n’est pas Oscar Peterson, je serais tenté de répondre non. Il y a belle lurette qu’on a coupé les têtes de la monarchie à cause de ce genre de comportement. Je dirais non avec encore plus de force parce que son style (c’était la première fois que je le voyais en concert) respire Glenn Gould à n’en pas douter : articulation extrême de chacune des notes, clarté pure et simple, les mains du pianiste étant le prolongement des marteaux de l’instrument, une mécanique parfaite; mimiques semblables aussi, il joue recroquevillé sur son banc, le nez sur le clavier presque, chantonnant, s’exclamant, gémissant (bon disons que c’est une caricature de Gould, une pâle imitation). Ayant vu un certain nombre d’excellents pianistes classiques, je peux affirmer qu’il n’y a rien là pour le moment de si extraordinaire.

Dans sa musique par contre il y a quelque chose d’extrêmement bien dessiné, très épuré, sans galimatias ni fantaisies extravagantes. Tout le contraire de l’image que laisse l’homme, une simplicité généreuse. Toutefois, peut-être sonne-t-il justement trop classique pour un musicien de jazz, la perfection du jeu n’est pas la perfection du cœur au pouls du jazz. Quand même, j’en ai été charmé : c’était beau, tout simplement. Il faut toutefois mentionné qu’après l’entracte nos musiciens ce sont amusés à nous rejouer une pièce de la première partie en prenant soin de jouer une introduction ainsi qu’une fin différentes. Peut-être voulait-on démontrer qu’à une foule de spectateurs on peut passer n’importe quoi dans le milieu si on réussit son entrée et sa sortie. Vraiment drôle !

Côté contrebasse, Peacock, plus modeste, plus sympathique, s’en tient à son « job », il soutient la charpente et est probablement celui qui permet aux spectateurs de se retrouver dans le rythme de chacune des pièces.

Il joue un rôle primordial, parce que DeJohnette est vraiment l’artiste de cette soirée à mon avis. Ce batteur tient le rythme en l’évitant. Le rythme lévite en-dehors du temps, à l’écouter je me demandais comment je faisais pour m’y retrouver, comment battre la mesure quand le batteur bat l’anti-mesure ? Le tempo se laissait deviner. Mais il y a plus, son jeu n’est pas spectaculaire en apparence, là où il devient incroyable et percutant, c’est dans l’interconnexion des rythmes multiples tricotée de telle sorte qu’on croirait qu’il y a quatre batteurs différents, un pour chaque pied et main. Tout ça fait dans l’humilité d’une horloge qui est là, présente, dans le seul but d’alimenter le système sanguin de l’ensemble, donner le rythme et la vie à cette musique pour en être le cœur.

Ce fut une grande et belle soirée de musique, mais les spectateurs ont quitté la salle dans un silence de déception impossible à photographier. Oui, le roi venait de créer une ambiance.

Spectacle FIJM – Salon de Guitare de Montréal – Ahmad Jamal – vendredi 2 juillet 2010

Le festival de jazz de Montréal, malgré les nombreux travaux dans toute la ville, l’allure « bombardée » des rues et la reconfiguration obligée des éléments du site, obtient encore un succès inégalé cette année. Il y circulait beaucoup de monde ce vendredi soir 2 juillet 2010.

Étant donné que le concert de Ahmad Jamal est programmé pour 21 h 30, j’ai décidé d’aller faire un tour au « Salon de guitare de Montréal » qui se tient dans l’enceinte du Hyatt Regency Montréal du Complexe Desjardins. Possiblement le vestige des quelques salons d’instruments de musique qui prirent place au premier niveau du même complexe durant quelques années. Celui-ci aurait disparu : plus de pianos, de saxophones, de batteries, etc. Croyons que la rentabilité n’était pas au rendez-vous ou que l’intangible ne fait pas partie des calculs comptables.

Néanmoins, le prix d’entrée à cette foire « guitaresque » m’a semblé exagéré pour ce qu’on y voit ou ce qu’on en retire. D’autant plus que les fabricants et luthiers s’y présentent dans le but commercial de se faire connaître, voire même de prendre des commandes. Bah ! nous pourrions dire la même chose pour les autres salons, celui du livre et des métiers d’art.

Toujours est-il que le nombre de guitares, et surtout la variété des concepts, designs, styles… dépasse l’imagination. Des guitares sans rosette ou, plutôt, à orifice déplacée dans l’éclisse supérieure (je me suis laissé aller à la réflexion qu’il est vrai que bon nombre de guitaristes aiment à s’écouter jouer, mais bon…), des guitares en forme de coussin, de Mickey Mouse, de boîte à cigare, de morceau de casse-tête, etc. Et ce, dans toutes les sortes de bois exotique qui existent sur la planète.

Hormis ces excès ludiques, qui parfois embarrassent la vocation musicale de l’instrument et qui se prêteraient mieux à un concours d’art ou de sculpture, il faut dire que la réalisation, le travail de l’artisan pour la finition de ses instruments est d’une perfection à faire peur. Pour les personnes qui aiment l’ébénisterie fine et le travail du bois, l’événement pourrait les inspirer. Afin de clore ce chapitre, j’ajouterais que, pour avoir essayé quelques-unes de ces beautés tape-à-l’œil dans le passé, ce ne sont pas les meilleures « chanteuses » : souvent leur beauté dépasse leurs qualités acoustiques, pourtant nécessaires pour mériter le mot « musique » après le mot « instrument ». Mais il y a avait aussi de nombreux luthiers plus conservateurs sur l’esthétique et plus attentif sur la sonorité de leurs instruments. Dont beaucoup de québécois qu’il vaut la peine de découvrir.

N’empêche que l’événement m’a distrait jusqu’à l’heure du concert de Ahmad Jamal. Ce pianiste de 80 ans a été reçu avec un « Happy Birthday ». Eh bien ! malgré cet âge vénérable, il nous donnait l’impression d’avoir seulement quatre fois 20 ans : une forme et une énergie époustouflante.

L’élément percussion dans sa musique est le cœur de tout. Il était accompagné d’un percussionniste très coloré, peut-être un peu trop « présent », je veux dire qu’il attirait beaucoup l’attention; un batteur plus discret que son voisin mais tout aussi intelligent, au jeu délicat, au rythme puissant et bien réglé; et d’un bassiste virtuose pour qui cette grosse contrebasse avait l’air d’un jouet entre ses mains, lui aussi tranquille et effacé, il complémentait le piano, parfaitement, en prolongeant la main gauche du pianiste.

Ahmad Jamal, quant à lui, s’occupait du piano : y en avait-il qu’un seul ? Là est la question. Son style au clavier est unique, nous aurions beau voir des connexions avec des Chopin, des Duke Ellington, des Cecil Taylor, des Hancock, des Oscar Peterson et bien d’autres, mais non, personne parmi ces grands ne peint de cette manière. Souvent, à l’écouter et à le voir évoluer sur son instrument, de tout son corps, il nous vient l’image de ces bandes dessinées qui nous montrent un pianiste avec des mains dédoublées percutant le clavier d’où les blanches et les noires forment des vagues, des ressacs, puis retombent à leur position.

C’est un peu avec cette image que l’on peut expliquer la musique de Jamal. Une musique percussive, faite d’accords plaqués, de basses à défoncer la table d’harmonie, de notes endiablées, mais d’où émerge, soudainement, comme par enchantement ou par opposition, une mélodie douce et calme.

Un autre élément semble s’ajouter à cette image, car au delà du style percussif entremêlé d’éléments mélodiques, il y a cette impression à la fois « free jazz » et rythmes sud-américains ou afro-cubains qui produisent une résultante « impressionniste », une couleur et une ambiance où la musique devient peinture abstraite dans laquelle nous pouvons déceler des images concrètes qui semblent surgir d’un chaos apparent, mais si bien calculé. Et finalement, ces belles images bien appuyées nous charment et restent gravées dans notre mémoire.

On ne peut s’empêcher d’aimer ce musicien qui donne l’impression d’être l’un des artistes les plus simples qui existent. Lui, qui après s’être laissé chanter « Happy Birthday » s’est assis sur le bord du banc de son piano, le plus simplement du monde, comme s’il était entouré d’amis et qu’il venait de trouver un piano par hasard sur son chemin, il s’est mis à pianoter quelques notes de la main gauche, puis, tout à coup, comme si l’idée venait de lui surgir de jouer quelque chose, il s’installe pour de bon et c’est parti pour une heure et demie. Il saluera chaque applaudissement entre les morceaux, mais il ne laissera pas passer le temps, deux ou trois secondes suffisent, les pièces débouleront les unes sur les autres sans répit jusqu’à la fin.