Spectacle FIJM – Keith Jarrett, Gary Peacock & Jack DeJohnette – samedi 3 juillet 2010

Keith Jarrett, homme de suspense, supposé génie du piano, semble être le musicien jazz le plus craint que je connaisse. De tout côté, au moment de s’installer dans nos sièges, 15 minutes avant le concert, on se demande si celui-ci aura lieu. Apparemment, si quelqu’un tousse, ou si le piano n’est pas parfait, ou si le monsieur est de mauvaise humeur, ou si quelqu’un prend une photo pendant le spectacle (car il s’agit bien ici de spectacle), on pourrait bien tout annuler.

Heureusement, cela ne s’est pas produit et les trois musiciens ont très bien joué. Malheureusement, pour bon nombre de spectateurs de tous âges, le souvenir de cette soirée aura été terni par une mise en scène de Jarrett à la toute fin : alors que la foule demandait un rappel, il est revenu sur scène, a demandé aux deux autres musiciens de le rejoindre (seul DeJohnette est venu; Peacock, à son grand mérite, savait probablement la farce qui se tramait…), puis notre grand Seigneur du piano a pris le micro pour dire quelque chose qui devait sûrement être très important, il a d’ailleurs commencé par affirmer qu’il était le créateur d’une ambiance; mais, après quelques instants, prétextant que quelqu’un venait tout juste de prendre une photo, il nous dit qu’il n’en dira pas davantage. Les deux musiciens déguisés en clowns de cirque sont repartis dans leur cage.

Dommage, car la musique était au rendez-vous. Quoique je me demande si on devrait aduler Jarrett à ce point. Malgré qu’il soit excellent musicien, encore là, il n’est pas Oscar Peterson, je serais tenté de répondre non. Il y a belle lurette qu’on a coupé les têtes de la monarchie à cause de ce genre de comportement. Je dirais non avec encore plus de force parce que son style (c’était la première fois que je le voyais en concert) respire Glenn Gould à n’en pas douter : articulation extrême de chacune des notes, clarté pure et simple, les mains du pianiste étant le prolongement des marteaux de l’instrument, une mécanique parfaite; mimiques semblables aussi, il joue recroquevillé sur son banc, le nez sur le clavier presque, chantonnant, s’exclamant, gémissant (bon disons que c’est une caricature de Gould, une pâle imitation). Ayant vu un certain nombre d’excellents pianistes classiques, je peux affirmer qu’il n’y a rien là pour le moment de si extraordinaire.

Dans sa musique par contre il y a quelque chose d’extrêmement bien dessiné, très épuré, sans galimatias ni fantaisies extravagantes. Tout le contraire de l’image que laisse l’homme, une simplicité généreuse. Toutefois, peut-être sonne-t-il justement trop classique pour un musicien de jazz, la perfection du jeu n’est pas la perfection du cœur au pouls du jazz. Quand même, j’en ai été charmé : c’était beau, tout simplement. Il faut toutefois mentionné qu’après l’entracte nos musiciens ce sont amusés à nous rejouer une pièce de la première partie en prenant soin de jouer une introduction ainsi qu’une fin différentes. Peut-être voulait-on démontrer qu’à une foule de spectateurs on peut passer n’importe quoi dans le milieu si on réussit son entrée et sa sortie. Vraiment drôle !

Côté contrebasse, Peacock, plus modeste, plus sympathique, s’en tient à son « job », il soutient la charpente et est probablement celui qui permet aux spectateurs de se retrouver dans le rythme de chacune des pièces.

Il joue un rôle primordial, parce que DeJohnette est vraiment l’artiste de cette soirée à mon avis. Ce batteur tient le rythme en l’évitant. Le rythme lévite en-dehors du temps, à l’écouter je me demandais comment je faisais pour m’y retrouver, comment battre la mesure quand le batteur bat l’anti-mesure ? Le tempo se laissait deviner. Mais il y a plus, son jeu n’est pas spectaculaire en apparence, là où il devient incroyable et percutant, c’est dans l’interconnexion des rythmes multiples tricotée de telle sorte qu’on croirait qu’il y a quatre batteurs différents, un pour chaque pied et main. Tout ça fait dans l’humilité d’une horloge qui est là, présente, dans le seul but d’alimenter le système sanguin de l’ensemble, donner le rythme et la vie à cette musique pour en être le cœur.

Ce fut une grande et belle soirée de musique, mais les spectateurs ont quitté la salle dans un silence de déception impossible à photographier. Oui, le roi venait de créer une ambiance.

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