Spectacle FIJM – Pat Metheny – mardi 12 octobre 2010

Pat Metheny, homme-orchestre des temps modernes, s’est donné musique et âme avec une splendeur inégalable, une imagination sans limite et une générosité véritable lors de son passage à Montréal le mardi 12 octobre dernier pour nous présenter son tout nouvel ensemble connu sous le nom de « Orchestrion ».

Cet ensemble, composé de milliers de petits bras musiciens branchés à de vrais instruments de musique et articulés et synchronisés par une intelligence informatique invisible, mais omniprésente, n’a pas bronché une seule seconde pendant les deux heures et demie qu’a duré le concert. Tout baignait dans l’huile à la manière d’une horloge suisse, précise et infaillible.

Mais, au fait, qu’est-ce qu’un « Orchestrion » ? Pat Metheny le compare au piano mécanique d’autrefois; de là, et d’un rêve d’enfance, lui est venu l’idée de construire cet immense orchestre mécanique où l’on trouve deux pianos, des vibraphone, marimba, xylophone, guitare et guitare basse, accordéon, des bouteilles en verre d’où sortent des sons d’orgue, toute sorte d’instruments de percussion et j’en passe.

Le tout, par la disposition des instruments sur scène, ressemble à une boutique d’instruments usagés, une boutique d’antiquité où il n’y aurait que des instruments de musique, un parfum de « pawn-shop » flottait dans l’air, même; sauf qu’il faut s’imaginer cette boutique tenant place dans le futur. Les instruments épars et empilés nous donnaient l’impression de nous retrouver dans le grenier d’une maison « ancestral ». C’était amusant d’y penser, et intemporel de le voir ainsi, car cet assemblage, hautement sophistiqué, est un chef-d’œuvre d’ingénierie. Assez contrastant comme constatation, n’est-ce pas ?!

Alors, qu’est-ce que c’est que cet « Orchestrion » ? Et bien, c’est un petit séquenceur pour d’immenses « synthétiseurs » acoustiques. Un gigantesque anti-synthétiseur, devrais-je dire; en ce sens qu’au lieu de retrouver tous les timbres de chacun des instruments dans une petite boîte électronique, on retrouve tous les timbres dans leurs « vraies boîtes » acoustiques, séparées et modulaires, mais dont le cœur est électronique. Chacun de ces instruments est relié à la guitare de Metheny; quand il joue une note ou un ensemble de notes, tous les sons sont reproduits automatiquement sur le ou les instruments qu’il sélectionne à l’aide de pédales situées à des endroits stratégiques sur le sol. De cette façon, les petits bras correspondants aux notes jouées sur la guitare iront percuter la bonne lame d’un xylophone, par exemple; ou la bonne corde à la bonne fret d’une guitare; ou la bonne note du bon piano; etc. Les notes ainsi jouées sont enregistrées électroniquement, au fur et à mesure, et les instruments répéteront, joueront effectivement, cette séquence en boucle selon le désir du musicien. Puis, on recommence le processus en jouant par-dessus l’enregistrement, créant ainsi une autre partie avec d’autres instruments. Après quelques minutes et quelques boucles on se retrouve avec un orchestre complet.

La particularité de l’« Orchestrion », vous l’aurez compris, est le degré de sophistication mécanique-électronique (donc robotique) à pouvoir résoudre les problèmes techniques de « rendu musical » sur les différents types d’instruments (dans le sens de produire de la musique, et non seulement produire des sons monotones et sans expression). Les percussions, les instruments les plus simples à programmer semble-t-il, seront percutées toujours au même endroit par les petits bras, selon le rythme et l’intonation désirée par le musicien, toutefois. Mais pour le piano, c’est autre chose, et la note à produire par la guitare, c’est encore plus « quelque chose ! », car on doit produire la bonne note, donc actionner la bonne touche avec la bonne force pour le piano; et pour la guitare, la bonne corde doit être pincée alors qu’un autre mécanisme doit l’appuyer à la bonne case… Bon, je vous laisse imaginer la complexité qui entre en jeu afin qu’un accordéon puisse jouer convenablement… Quand on pense qu’il faut au minimum mettre en place ce qui est nécessaire afin que le soufflet s’ouvre et se referme à la bonne vitesse et au bon moment pour produire la bonne intensité du son sans interrompre la durée réelle, sans saccade, et qu’il faut que les notes souhaitées, et seulement celles-là, « s’allument » ! Pour nombre d’entre nous, qui ne sommes peut-être pas à la fois musiciens et roboticiens, nous aurons de la difficulté à imaginer qu’une telle technologie puisse exister. Tant pis pour nous, non seulement quelqu’un a pu l’imaginer, mais ce même quelqu’un a pu réaliser cet exploit !

Précisons, pour jeter un peu de lumière sur les aspects technique et artistique de cette soirée : la plupart des morceaux, où l’on pouvait voir et entendre l’« Orchestrion » à l’œuvre, étaient préenregistrées. Qu’on ne me dise pas le contraire ! Pat Metheny improvisait tout à son aise alors que son docile orchestre suivait le « programme ». Par contre, dans les dernières minutes du spectacle, il nous a offert une « explication » (une démonstration) de son système, en composant, à partir de rien, une pièce totalement nouvelle et improvisée. Chaque étape de l’élaboration d’une œuvre défilait devant nos yeux. Malgré cela, la magie ne s’est pas évaporée ! La mystification restait entière et le résultat était vraiment impressionnant.

Hormis toute cette mécanisation, quand même étonnante, et qui me rappelle plus les grandes orgues que le piano mécanique (par la sophistication des mécanismes), il n’en demeure pas moins que la musique de Metheny, augmentée de l’extraordinaire virtuosité « guitaristique » du musicien, supplantent toute cette technologie. Ses qualités musicales étaient encore plus spectaculaires que son « Orchestrion ». Il y a dans son jeu un lyrisme réel, bien senti dans les balades, des mélodies bien encadrées par une harmonie presque classique, avec contrepoint, mais panachée avec les couleurs les plus jazzy; une véritable fusion de toutes les époques : du bebop et du cool jusqu’au fusion-rock, auxquelles s’ajoutent quelques accents sud-américains dans le rythme, voire même des accents que je qualifierais de « vraiment personnels » à Metheny, sa signature. Additionnez à ce « mood » une vitesse de réflexion et d’exécution incroyable et vous obtenez des moments qui dépassent l’imagination.

Saluons ce musicien sans égal, autant par la rigueur de bien faire les choses que par son charisme et son génie musical.

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