FIPTR - Poésie au pays de la « sainte Tririverainité » !

Nous nous sommes offert une journée poésie à Trois-Rivières, mon épouse et moi, en ce dimanche qui clôturait la vingt-sixième édition du Festival International de Poésie de Trois-Rivières.

Je répète ce que je disais l’an passé, en d’autres mots : Trois-Rivières, ville accueillante, est une ville privilégiée qui peut se targuer d’être le carrefour mondial de la poésie en Amérique du Nord. Y marcher, dans ses rues qui sentent les parfums de l’histoire, c’est comme découvrir la planète « Poème ». Planète où chaque vers, qui orne les bâtiments, pour les habiter, prend une étiquette géographique et une étiquette de langue. Étiquettes Argentine, France, Belgique, Syrie… étiquettes de partout; étiquettes française, anglaise, espagnole, arabe… étiquettes de toutes les langues, en harmonie, à faire crouler les plus récalcitrantes tours de Babel. Une ville monument pour ce qui a de meilleur dans l’humain.

Je n’ai malheureusement pas pu tout voir ce que j’aurais voulu. Nous y allions principalement pour entendre Pascale Montpetit réciter les Raymond Bozier, François Vigneault, Hélène Dorion et Jean-Marc Desgent en prélude aux Quatre Saisons de Vivaldi. Une lecture vibrante et parfaite, touchante même. Des poèmes vivement interprétés et qui rejoignaient la musique, pleinement. Cette œuvre de Vivaldi, d’ailleurs, se prête bien au jeu de la poésie, il existe au moins un enregistrement où des poèmes (plus courts) sont récités de la même façon, en Italien.

Sans vouloir être méchant, restons francs : j’ai entendu et vu tellement de concerts de musique classique que la moindre peccadille ne passe pas inaperçu à mes oreilles. Malgré le talent indéniable des quatre solistes qui ont interprété chacune leur saison, il y a eu quelques « problèmes » d’interprétation, les passages plus intéressants à jouer obtenaient toute l’attention, je déduirais; d’autres parties, quand même rares, traversaient l’espace temporelle comme un train de marchandise traverse un beau paysage, un peu froid et sans saveur et même dérangeant pour l’oreille exercée. L’hiver est probablement le concerto qui a fait meilleure figure, très bien joué de part en part par la violoniste Marie-Josée Arpin. Malgré un deuxième mouvement joué un peu trop vite à mon goût. On rencontre nombre d’interprétations qui font, selon moi, cette même erreur. Ce mouvement où l’indication de tempo est « Largo » devrait être joué encore plus lentement. Nos métronomes indiquent un tempo entre 40 et 60 temps par seconde, mais l’effet recherché par les arpèges joués en pizzicato (une neige qui tombe doucement) profiterait grandement d’une vitesse de 30 temps par seconde. Je crois que c’est d’ailleurs le choix qu’avaient fait Michel Schwalbé et Herbert von Karajan pour leur interprétation chez « Deutsche Grammophon » (album que je me dois d’écouter de nouveau). Mentionnons aussi qu’il y a eu confusion dans l’orchestre à quelques reprises, tous n’étaient pas à la même mesure, en même temps, ce qui faisait sourire un peu…, mais il faut dire que le chef d’orchestre, occupé à tenir le clavecin de ses deux mains, faisait office de directeur « omni-absent ». Les musiciens étaient carrément laissés à eux-mêmes.

Trêve de critique, voici que dans les plus simples apparats se trouvent les moments les plus magiques : encore cette année, la maison de la culture offrait des lectures où musique et poésie s’unissent pour composer une « poésique ». Les musiciens Denis Doucet (clarinette) et Sébastien Deshaies (guitare classique) nous ont mis à l’oreille des émotions vraies et bien senties à travers les accents et les rythmes du monde où les poètes de chacune des nationalités représentées s’y reconnaissaient et souvent s’en émouvaient. La formule est géniale à mon avis. La qualité musicale a ébloui et même surpris tous et chacun.

Mes coups de cœur poétiques pour cette année vont à Derry O’Sullivan (Irlande), qui n’avait aucun recueil disponible, malheureusement; j’aurais fait une razzia au petit kiosque de livres, près du parc à poèmes (Parc Champlain). Il nous a offert un poème monétaire zoologique typiquement canadien et savoureux, et savant de comptabilité et de valeurs hautement « écologiques »; et un autre émouvant et mystérieux poème tout en gaélique. Quelle langue ! J’espère pouvoir trouver ses livres quelque part, dans l’espace et dans le temps.

Puis Véronique Daine (Belgique, là où, outre les frites et la Belgique-même, existent les meilleurs chocolats du monde) nous a offert « R.B. », un recueil publié par les « Éditions L’herbe qui tremble ». Elle possède une écriture belle et bien rythmée, très sensible : « J’écris R.B. parce que la lumière d’ici le commande. / J’écris R.B. pour que se déploie la débâcle, / la défiguration. » On trouve dans son éloquence toute « tam-tam » une espèce de rage au fond du cœur que j’ai bien hâte de découvrir et de partager.

Ensuite, j’ai été ému par Malak Sahioni Soufi (Syrie) et son poème « Une lune et d’autres », une poésie qui, en langue arabe, sonne merveilleusement bien, des poèmes courts comme des Haïkus, mais qui vous construisent une image d’un seul jet. Malheureusement, son recueil, où quatre langues se côtoient, est une catastrophe monumentale, en tout cas pour la partie française. Dommage, car la poète, elle, est un miracle. L’éditeur, Vision Libros, devrait faire preuve d’une plus grande rigueur…

Finalement, Suzanne Dracius, avec son « Exquise déréliction métisse » et sa non moins exquise sensualité et assurance devant le public, a une allure bohémienne qui vous ensorcelle du premier regard. Regard qui vous a déshabillé, ausculté, analysé, etc. bref, en un mot : possédé. Avec cette poésie je tombe dans les miroirs, cette espèce de joie des réflexions où parfois on a l’impression de se trouver en face de sa petite sœur qu’on n’a jamais vue ni même su qu’elle existait. Je parle bien sûr de la poète, cette voix qui nous habite et pour laquelle nous (poètes de chair et d’os), nous nous faisons serviteurs. Cette voix qui épouse l’époux qui la découvre. Suzanne Dracius nous amène loin aux tréfonds du métissage, le fait de n’être jamais (naître jamais) de la bonne couleur ou du bon ton, d’être des exilés avant même que de naître : « Roulent polyphoniquement ces chants / Sourdent gravement de tréfonds d’îles / S’ourlent jusqu’à ces rivages / Aux abords vagues » ou encore plus profondément dans le délire de la déréliction métissée : « Mamzelle avait été faite là-bas, / Elle avait le teint chocolat / Douci de lait et de miel. » Voilà que s’introduit d’une admirable façon un autre recueil à savourer…

Trois-Rivières, en ce temps de poésie (en d’autres temps aussi, sûrement…), vaut le déplacement. Et pour ceux qui veulent en savoir plus, aller au cœur du poème pour mieux le comprendre, pour en faire l’expérience et pour s’y découvrir soi-même, les poètes se promènent parmi vous, parmi nous, et pour la plupart, il suffit de les accoster et de leur parler pour qu’ils se confient à vous le plus simplement du monde.

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