Le Festival de Jazz de Montréal, 31e édition, vient de prendre son envol d’une belle façon, en tout cas pour moi qui ai assisté au concert de Paolo Fresu et Omar Sosa ce vendredi 25 juin. Bon à entendre, beau à regarder.
À eux deux ils nous ont offert des « sonates ou concertos » pour piano et trompette ou piano et bugle avec orchestre invisible. Eh oui ! Nous sommes à l’ère des électrons, nous pouvons donc nous attendre à tout. Tant que les musiciens ne feront pas seulement semblant de jouer, nous resterons contents.
Précisons : l’orchestre invisible n’est que cette impression laissée par les musiciens qui utilisent des synthétiseurs pour s’accompagner, pour soutenir leur musique qui se dessine, elle, sur leurs instruments tout acoustiques. L’orchestre invisible agit autant en arrière-plan, préprogrammé; qu’en avant-plan, « interprété » où, dans ce cas, il obéit aux jeux des musiciens. Il se laisse deviner, il est discret, mais il nous laisse souvent émerveillés par la magie qu’il crée, charmés par le fait que nous ne voyions que deux musiciens alors que nous en entendions plus qu’il ne paraissait possible. Toujours est-il qu’il crée l’ambiance et donne le mood aux interprétations.
C’était ma première expérience avec ces deux musiciens, je n’avais donc aucune attente particulière. À première vue, piano et trompette et même piano et bugle pourrait nous paraître un difficile mariage de timbres. Un mariage à modérer disons, à tout le moins un couple incomplet. Un peu comme mélanger riz et pommes de terre dans un même plat sans autre chose. Souvent, dans ce type de duo, l’un cède la place à l’autre, le piano se contentant d’accompagner la trompette quand celle-ci veut s’exprimer pleinement.
Et bien non ! Mariage parfait, en partie grâce au jeu tout feutré de Fresu qui par moment évoquait des instruments à cordes et produisait nombre d’autres sons pour imiter le vent ou les vagues de la mer ou tout autre effet. Son instrument évolue toujours en harmonie avec le piano et cela d’une manière à la fois chantante et concertante, pratiquement jamais contrasté pourrait-on dire, tellement les nuances de l’un et de l’autre les unissaient en des teintes fondues tout pastel. Trompette et piano d’un même souffle.
Le duo prend la scène pour une heure quarante minutes environ. Omar Sosa, vêtu en rouge y monte chandelle allumée dans les mains, chandelle d’un même rouge d’ailleurs; il est grand, mince et élégant. Son jeu au piano reflète également le mystérieux de sa personnalité qui s’entoure de rites qui lui sont propres, tout en cérémonie. Malgré les élans fréquents de virtuosité à la Chick Corea, son style glisse presque immanquablement vers des sonorités classiques, avec contrepoints, lignes mélodiques bien définies et bien soutenues par l’harmonie et la basse de la main gauche. C’est là où je dirais qu’il se démarque des autres pianistes que je connais. On remarque aussi qu’il aime s’éloigner d’un thème pour mieux y revenir. Il le montre à son public d’ailleurs, en esquissant des sourires comme pour montrer qu’il revient là où il voulait en venir (musicalement).
Paolo Fresu n’est pas aussi visible que Sosa en ce qui concerne l’habillement ou les gestuelle, il se camoufle presque. Il se vêt de tons plus neutres, à la mode italienne, où les motifs sont à la fois doux et étranges. Un peu comme un vêtement de nuit, mais discret. C’est peut-être justement dû au fait qu’il a une allure si décontractée sur scène que nous avons cette impression de calme « nocturne ». Il joue assis, sur une chaise plus qu’ordinaire, une pliable presque rembourrée; cependant, il y prend sa place et attire notre attention visuelle par la pause qu’il y prend. Ses pieds ne s’appuient pas sur le sol, il fait corps complètement avec sa chaise, il se recroqueville et se balance tranquillement, toujours en équilibre, comme si cet état de suspension, de semi-lévitation artificielle était complémentaire, voire même absolument nécessaire à sa musique. Aussi, la plupart du temps on ne le voit que de profil, ce qui l’efface en tant que artiste, il nous force à « regarder » sa musique…
La musique de Fresu nous ramène les saveurs du « cool », cette courte période jazz après-bebop, apportée par Miles Davis vers la fin des années 50. Ses lignes mélodiques sont toujours calmes, même dans les moments les plus acrobatiques où on voit l’instrument affirmer sa présence, défiant le piano avec des arabesques mélodiques effrénées.
La sonorité de sa trompette et surtout de son bugle (qu’il joue plus souvent que la trompette, j’oserais avancer que le concert est à 70% bugle et piano) s’enrichissent encore là de la technologie qui permet au musicien de produire, de créer en fait, des notes dans un autre ton : il émet un son, le système lui en sort deux ou trois simultanément. Ajoutons à cela Sosa qui y additionne ses percussions électroniques et autres effets et vous obtenez ce que j’ai appelé plus tôt un orchestre invisible. Orchestre dirigé par deux musiciens bien présents pour une musique en constant équilibre, une musique très agréable.
La bonne soeur et son manuscrit
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Crédit photo: moi-même (Fatima, Portugal, automne 2024)
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